Tolérance religieuse en Mauritanie

Tolérance religieuse en Mauritanie[1]

 

Aujourd’hui, dans un monde plein d’arrogance, d’ethnocentrisme, d’égocentrisme, d’amour propre et d’amour de soi les plus fermes, la tolérance n’est pas seulement recommandée, elle est nécessaire. La tolérance est une condition sine qua non pour bien vivre en paix, en fraternité et en bonne intelligence.  Je ne vais pas faire l’éloge de la tolérance, parce qu’on est tous d’accord la dessus, ce sera comme démontrer une évidence.

Donc, je vais être bref pour ne pas me fatiguer inutilement et vous ennuyer pour rien,  je vais essayer de faire une petite présentation qui pourrait, je l’espère, vous donner une idée de la tolérance religieuse en Mauritanie. Pour ce faire, je parlerai, d’abord, du concept de tolérance, ensuite je ferai une concise présentation de la Mauritanie d’un point de socioreligieux, j’évoquerai, également, quelques facteurs qui empêchent, à mon avis, la société mauritanienne d’être tolérante et je finirai en dégageant quelques recommandations nécessaires pour l’établissement et l’inculcation de valeurs de tolérance dans cette société.

Le concept de tolérance :

La tolérance vient, étymologiquement,  du verbe latin tolerare qui veut dire endurer, porter  et supporter. Ce vocable est entré dans le dictionnaire français en 1561, nous éclaire le Grand Robert, lequel définit la tolérance, sémantiquement, comme étant : le fait de ne pas interdire ou exiger alors qu’on le pourrait.

En tant que concept philosophique, la tolérance est difficile à définir. Et comme d’habitude, les philosophes nous expliquent, prolixement, leurs idées, mais quand il s’agit de définir leurs concept ils ne sont pas assez doués que cela, soit ils donnent une définition circulaire, soit ils font une tautologie. La tolérance ne déroge pas à cette règle. On ne pourrait pas y donner une définition qui soit exempte de tous les défauts. Cependant, j’aventurai  en avançant  la définition suivante : la tolérance n’est pas seulement la cohabitation avec les autres, mais c’est l’acceptation de différence des autres et la reconnaissance de ceux-ci. Autrement dit, c’est l’attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser ou d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même.

La vraie tolérance apparait alors comme le seul  moyen, pour les êtres qui sont chacun, selon l’expression de Heidegger, une « fin en soi », de communiquer.

On peut choisir une autre démarche pour mieux définir ce concept et pour le distinguer de ses contraires en faisant recours à la méthode antinomique dans la définition : en mettant en évidence « ce qui à l’opposé de tolérance, ce qui  ne peut jamais être tolérance » on précise, par là, ce qui est la tolérance.

La tolérance n’est pas certainement et ne pourrait jamais être un « Egocentrisme » qui est une tendance à être centré sur soi-même et à ne considérer le monde extérieur qu’en fonction de l’intérêt qu’on se porte, c’est un refus de l’autre sur la base de la « Haeccéité », de l’arrogance et l’affirmation du soi comme étant le centre du monde. C’est aussi le cas de l’ethnocentrisme qui met l’ethnie ou la race au centre du monde en faisant fi d’autrui, ce qui mène,  assez souvent, à un mépris des autres ethnies ou des autres races en les considérant comme moins humaines que « notre race » et c’est un racisme, cet ethnocentrisme pousse, habituellement, à la haine à l’égard de  tout ce qui n’est pas « nous » c’est-à- dire l’étranger : cela s’appelle , exactement, la « Xénophobie » . Du coup, il ne peut pas, à l’évidence, être tolérance.

Le fondamentalisme, de son coté,  n’est pas du tout tolérance, du fait qu’il prône une conception de l’univers, de la genèse et de la vie qui est la seule conception vraie et valable, en insinuant, explicitement ou implicitement, une dénégation de l’autre, un refus d’autrui qui aboutit, généralement,  à un abandon des autres ou à une hostilité envers eux : ce qui pourrait se manifester sous forme d’une Islamophobie, d’un Antisémitisme, d’un Antichristianisme….et j’en passe.

Toutes ces idées, tous ces concepts sont en contradiction foncière, ad hoc avec la tolérance, et pour savoir ce qui est, vraiment, la tolérance, il sera impératif de renverser, de fond en comble, ces idées  et de chercher exactement leurs contraires pour arriver à notre concept, à ce qui dénote et à ce qui connote.

Mauritanie sociologique

Maintenant que l’aspect conceptuel a été, je crois, éclaircie, je vais faire une clarification portant sur l’espace –ou si vous voulez le pays, quoi que je ne sois pas à l’aise en utilisant cette notion pour décrire cette réalité du fait que je parle de différents groupes qui ne sont unis par aucun lien excepté le voisinage et l’habitation sur la même terre, ils sont éparpillés dans un désert de l’espace, du temps et de pensée qui ne peux pas aller en pair avec la notion du « pays »-concerné par mon intervention qui est la Mauritanie.

Politiquement parlant, la Mauritanie est un pays saharien et sahélien d’Afrique de l’Ouest. Sa capitale est Nouakchott. La population est de 3 500000 habitants, selon l’estimation de 2013.

Géographiquement,  la Mauritanie est baignée sur sa façade occidentale par l’océan Atlantique, bordée au nord-ouest par le Sahara-Occidental, au nord par l’Algérie, à l’est et au sud-est par le Mali et au sud-ouest par le Sénégal. Pays des Maures, dont elle tire son nom, la Mauritanie, créée en tant que telle par le colonisateur français en 1902, est une terre de contact, un « pont » entre l’Afrique noire et le Maghreb, elle a accédé à son indépendance en 1960.

D’un point de vue anthropologique, la Mauritanie est peuplée, essentiellement,  par quatre ethnies :

-les Maures qui sont une communauté issue de métissage des arabes et des berbères parlant un dialecte arabe et revendiquant l’Arabité de la Mauritanie, c’est la communauté dominante.

-trois communautés négro-africaines : le Haalpular, Soninké et les Wolofs.

Religieusement, l’Etat affirme que la population est musulmane à 100%, elle pratique l’Islam suivant le rite malékite du Malek ben Enès, un rite sunnite,  rigoureux, orthodoxe et rigide. Historiquement, l’Islam en Mauritanie  était dirigé et enseigné par les confréries mystiques « Soufie », qui prêchent un Islam spirituel, moins arrogant, moins combattif et plus indulgent, aujourd’hui elles ne dominent plus la vie religieuse, elles sont menacées par des nouveaux concurrents qui sont en train de s’imposer, de contrôler le «  Marché religieux » et de monopoliser ce que l’anthropologue mauritanien Abdel Wedoud Ould Cheikh appelle « le domaine du sacré et de l’invisible ».

Les grandes confréries en Mauritanie sont :

Le Qadirisme de Cheikh Abdel Qader El Jdillani (1079-1166), qui était né en Iraq dans 11e 12e  siècle en Iraq et qui a fait le tour de tout l’espace musulman.

Le Tidjanisme qui était édifié par Cheikh Ahmed Tidjani (1737-1815) en Algérie puis au Maroc fin du 18e et début du 19e siècle mais qui s’est propagé très vite

Le Quzfisme qui est une voie mystique locale syncrétique né » au début du 20e siècle.

La majorité écrasante est de sunnites mais on estime qu’il y a une petite minorité de chiite convertie qui ne dépasse 15000 individus.

A mon avis la tolérance est loin d’être la règle en Mauritanie surtout en matière religieuse, la preuve est le cas de ce jeune écrivain issu d’une caste défavorisée qui a écrit un article le 30 décembre 2013 et quelques jours après, on l’a emprisonné, on l’a séparé de sa femme en l’accusant d’avoir blasphémé le  Prophète, d’avoir abjuré et d’être apostat, la « justice(et c’est vraiment un oxymore de qualifier cette institution partiale et instrumentalisée de juste)» a prononcé la peine capitale contre lui, il y a à peine deux semaine.

Au niveau législatif, c’est un pays très conservateur, voire rétrograde avec un pouvoir judiciaire partial et dépendant de l’exécutif.

Des grands obstacles devant la tolerance

La société mauritanienne est intolérante, –si puis-je le dire sans verser dans le déterminisme et la critique ontologique — par nature : je veux dire par culture et habitude, une fois cela est changé nous aurons affaire à une autre société différente.

Les caractéristiques de cette société,  comme d’ailleurs toutes les sociétés traditionnelles africaines,  l’empêchent d’être tolérante. Elles sont des obstacles qui demeurent, toujours tant qu’elles ne sont pas changées, des remparts qui brident la tolerance, la reconnaissance de différence.

-le premier défi est que c’est une société tribaliste : basée sur la tribu, c’est la tribu qui existe et non pas l’homme, on est jugé selon ce qu’on a hérité (ce qu’on appelle en anglais : Ascription) et non pas en fonction de ce qu’on a mérité (Achievement). Elle est divisée et régie par ce que les anthropologues appellent « segmentarité oppositive » qui se résume en l’adage suivant :

1 -moi contre mon frère ; 2-moi et mon frère contre mon cousin ; 3- moi, mon frère et mon cousin contre mon voisin ; 4- moi, mon frère, mon cousin et mon voisin contre tout le monde.

Le deuxième défi : la société mauritanienne est une société hiérarchisée. Selon la classification du sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1895-1936) : il y a deux sortes de sociétés qui sont absolument différentes : d’abord ce qu’il appelle  Gemeinschaft c’est-à-dire une communauté holiste, hiérarchisée, basée sur les valeurs traditionnelles de l’obéissance et de la primauté du groupe sur l’individu qui n’existait pas, ensuite ce qu’il désigne par Gesellschaft c’est-à-dire une société individualiste, contractuelle.

La société mauritanienne est un exemple typique, à mon sens, du premier type, par conséquent, elle est tissée par une solidarité mécanique et non pas sur une solidarité organique, si on emprunte les notions du sociologue français Emile Durkheim (1858-1917), donc la tolérance n’est pas, vraiment, la bienvenue là-bas.

Le conservatisme religieux et la prépondérance d’une vision radicale et rigoriste de l’Islam, une conception exclusiviste, réductionniste et manichéenne : « je détiens la vérité, toute la vérité, j’agis en son nom, je peux faire tout ce que je veux, les autres doivent me suivre, sinon ils ne veulent pas le vrai, tout ce qui n’est pas vrai est faux et nuisible ; donc j’ai le doit d’écraser tous les autres de les bombarder …. » voila un idéal type de discours exclusivistes qui est incarné aujourd’hui par  « l’Islam à Kalachnikov » d’El Qaeda et de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant, et qui s’est propagé, directement ou/et indirectement, par les chaines de télévision de quelques pays du Golf.

Une organisation familiale Paternaliste qui fait que depuis le bas âge au sein de la famille, c’est le père ou l’ainé des frères qui dicte toutes les règles, toutes les lois, qui annonce toutes les vérités, les autres ont pour mission de les suivre et de les respecter.

Patriarcat qui pourrait aller jusqu’à devenir une misogynie farouche, biaisée et opiniâtre. C’est ainsi que les droits de femmes y sont bafoués, les répudiations et les mariages forcés et précoces sont monnaie courante.

La situation politique est tendue, la tension est très forte entre les ethnies africaines d’un coté et les arabophones de l’autre coté depuis 1989, il y avait, même des massacres à l’encontre des négro-africains dans lesquelles l’appareil étatique est, probablement, impliqué.

En outre, le problème de l’esclavage et ses séquelles dont une partie de la population était –et elle est encore- victime. Sans oublier l’injustice sociale qui pousse une grande partie des jeunes à regagner le camp des propagandistes intégristes et des djihadistes radicaux et à chercher et rechercher la solution de leurs problèmes dans «  l’au-delà » après avoir fouillé partout « ici-bas », sans trouver rien.

Ce qui profite aux prédicateurs des chaines télévisées financées par les pays du Golf qui incitent tous « les soldats du Dieu » tous « les défenseurs du Mahomet » à combattre les ennemis de ceux-là, à aller tout droit au « paradis » promis pour tous ceux qui meurent « en combat pour la cause du Dieu ».

Tous ces facteurs sont des défis qu’il faut relever pour instaurer une société tolérante.

Recommandations

En guise de conclusion, je ne pense pas que cette situation va rester à jamais intacte et que ces problèmes sont irrésolus, au contraire, on peut sortir de cet imbroglio, bel et bien, si nous avons la volonté et la responsabilité de le faire ou, du moins pour ne pas être un rêveur idéaliste,  on peut diminuer les effets négatifs de cet état de chose.

La première chose qu’il est nécessaire de le faire est la résolution des problèmes socioéconomiques, pour pouvoir engager un dialogue approfondi réfléchi et clairvoyant qui saurait ce qu’il voulait, avec les religieux de tous les bords et surtout avec les confréries mystiques, un dialogue honnête accompagné d’une vulgarisation de valeurs tolérantes par les medias qui sont des outils nécessaires à utiliser dans cette affaire, après quoi, l’Etat pourrait faire une révision de programme de l’éducation et une introduction de culture tolérante dans les manuels et les livres scolaires, chose que l’UNESCO a enjoint dans son manuel éducatif publié en 1994 sur la tolérance.

La tolérance n’est pas impossible, on peut la faire, même si cela apparait difficile à atteindre, c’est un devoir, accomplissons –le pour l’humanité et pour nous-mêmes.

 

[1] Remarque préliminaire : c’est un titre qui ne suggère aucune véritable relation entre les extensions deux termes (tolérance religieuse et Mauritanie), la combinaison entre les deux est purement épistémologique et méthodologique et non point ontologique : quand je dis « tolérance religieuse en Mauritanie » je ne veux pas dire qu’il y a une existence réelle de tolérance religieuse en Mauritanie, mais je voudrais, seulement, établir une corrélation entre deux notions et pas entre les deux réalités auxquelles elles renvoient.