Le Sommet de Pau a permis d’acter les défaillances tant civiles que militaires dans la bande sahélo-saharienne dont la situation paraissait s’enliser de manière croissante. La situation militaire maintenant redressée va permettre le déploiement de la nouvelle stratégie de développement de la coalition internationale.
Un officier supérieur de la force Barkhane confiait il y a quelques mois : « On aura gagné quand les paysans maliens préféreront ranger leurs kalachnikovs parce qu’ils ont du travail et de meilleures conditions sociales ». Cette phrase est emblématique du contexte sécuritaire au Sahel marqué par des rivalités ethniques accentuées par la faiblesse de l’Etat et la pauvreté endémique. Les Djihadistes ne représentent dés lors qu’une surinfection de la plaie en instrumentalisant les tensions. C’est dans cette optique que le Sommet de Pau décidait d’acter une stratégie plus intégrée entre les opérations militaires et le développement économique et administratif des pays du G5 et notamment de la triade Mali, Burkina-Faso et Niger.
Matérialisation de cette nouvelle vision, le sommet de Pau actait la création de la « coalition pour le Sahel », une organisation de coordination légère destinée à devenir la cheville ouvrière de la stratégie actualisée du G5 Sahel, de la France et de leurs partenaires internationaux. Organisée autour de quatre piliers (combat, formation militaire, gouvernance, développement), la coalition pour le Sahel inscrit son action dans un continuum sécurité/développement sensé articuler maintien de l’ordre et retour en puissance des états du G5 vers la résolution à long terme de la crise.
Des dysfonctionnements dans l’attribution et la planification des aides
A la veille du sommet de Pau apparaissaient de manière flagrante de nombreux dysfonctionnements dans la gestion des aides tant au niveau des bailleurs que des récipiendaires. L’Alliance pour le Sahel avait pourtant été créée en 2017, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, afin d’améliorer la coordination des projets de développement. Difficulté du traçage des aides, pas de données fiables sur l’utilisation des fonds et décaissements longs (parfois plusieurs mois) se heurtant à l’urgence de nombreuses situations, faisaient douter les populations de la réalité ou de l’efficacité des projets. Certains observateurs ont pointé avec justesse les logiques d’appareil ou’ une administration locale peu formée (et parfois corrompue) voire inexistante, poussant certains bailleurs à s’organiser directement avec les ONG sur le terrain, comme causes de ces défaillances.
Cependant si ces points sont une réalité, ils n’étaient en définitive que la matérialisation de leviers non coordonnés par une vision et une planification globale inexistante, peu en phase avec les besoins des locaux ou bien avec l’urgence de nombreuses situations.
La nouvelle approche du 4éme pilier de la coalition pour le Sahel
Les défauts cités, largement contre-productifs, étaient de nature à renforcer encore plus l’emprise des djihadistes sur certaines populations. Le sommet de Pau entérinait alors, pour le volet développement, un recentrage stratégique similaire a celui décidé pour les opérations militaires. Le but fixé étant de travailler à l’accroissement de la visibilité de l’action humanitaire tout en favorisant l’association et le contrôle des gouvernements du G5 sur les projets. Pour parvenir à cet effet, il fût décidé de viser une coordination plus intégrée des actions militaires et de développement. Le moyen le plus efficace étant de déployer l’action humanitaire dans une logique spatialement ciblée et cela au cœur même des zones contestées (sans pour autant oublier les zones plus calmes). Combiné avec un partage accrue de l’information, la création de nouveaux outils financiers, et une articulation plus intime avec les administrations locales, le développement sera alors en mesure d’avoir un impact plus prégnant sur les populations.
Ces décisions furent rapidement suivies d’actes concrets avec la première assemblée générale de l’alliance pour le Sahel (membres donateurs et observateurs) le 25 Février 2020 à Nouakchott qui acta la nouvelle marche à suivre. Pour rappel, l’Alliance pour le Sahel gère environ 800 projets et 12 milliards de fonds. Elle est la personnification du quatrième pilier (développement de la coalition) et coordonne l’action des autres organismes internationaux concernés par les questions de développement dans la sous-région (Agence française de Développement, Pacte pour la sécurité et la stabilité au Sahel – P3S, etc).
Quelles perspectives après le sommet de Nouakchott ?
Pour l’Alliance Sahel le Sommet de Pau a commencé le 24 juin 2020 lors de sa troisième réunion du Comité de pilotage (CPO). L’ensemble des programmes et outils qui y furent entérinés matérialisaient la nouvelle stratégie définie à Pau et à Nouakchott. Via l’Approche Territoriale Intégrée (ATI), le ciblage spatial des aides était confirmé et cela en priorité dans les zones frontalières du Sahel et toutes les zones menacées par les Djihadistes. Cette ATI se déclinant en une série de mesures concrètes et insérées dans cadre d’action articulé avec les gouvernements du G5 : les CAPI (Cadres d’Action Prioritaire Intégrée). En outre les membres y ont réaffirmé leur volonté de rationaliser le drainage des financements et accroître la coordination interne. Cette réunion fût donc porteuse car elle a permis de créer un consensus confirmé par le Secrétaire Exécutif du G5 Sahel, Maman Sidikou : « Le troisième comité de pilotage de l’Alliance Sahel a été une réunion constructive. Les participants ont contribué à la tenue d’une session tangible et concrète. »
Le Sommet de Nouakchott à officiellement confirmé ces dispositions. Tout les membres ont reconnu l’ampleur du travail effectué tout en admettant que la résolution de la crise nécessiterait encore de nombreux efforts. En outre le G5 Sahel a obtenu la création d’un moratoire portant sur l’annulation de la dette souveraine, selon eux difficilement soutenable dans un contexte de crise sanitaire et cela même si l’Alliance pour le Sahel a confirmé le décaissement de 800 millions d’euros afin de faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie. La question de l’exécution des financements des Programmes d’Investissements Prioritaires, portant sur des grands projets d’infrastructures et de gouvernance (routes, voies ferrées…) a également été abordée et devrait être réglée d’ici quelques mois même si elle demeure encore en suspens.
En définitive, la coalition pour le Sahel semble avoir appliqué des solutions réalistes et diplomatiquement consensuelles afin de se diriger vers une véritable sortie de crise. Des années seront encore nécessaires pour y parvenir mais les premiers effets devraient se ressentir d’ici début 2021, lors du prochain sommet. La France joue le jeu et semble arriver à affirmer son leadership sur un investissement international croissant, toutefois la balle est bien dans le camp des états du G5, qui, souverains, devront mobiliser de nombreuses ressources et de la volonté politique. Une nécessité absolue non seulement dans la bonne gestion des aides mais également dans re déploiement d’une gouvernance efficace et impartiale. Rétablir des tissus nationaux solides dans la région est en effet une condition incontournable au succès des opérations de développement.