C’est désormais prouvé : la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) soutient les groupes terroristes qui sèment actuellement l’horreur dans le Sahel. Selon le dernier rapport de l’ISS sur l’insécurité dans le Liptako-Gourma, les groupes armés comme le MNLA et d’autres groupes d’autodéfense sont impliqués, directement ou indirectement, dans des activités illicites (vente et transport d’armes surtout) et dans des conflits locaux.
Depuis presque huit ans, le Sahel s’embrasse. Des attaques sporadiques çà et là, les groupes terroristes sont passés à la vitesse supérieure. En plus d’imposer leur diktat dans cette partie du monde, ils s’attaquent désormais à des bases militaires maliennes, burkinabés et nigériennes, même la force française Barkhane n’est plus épargnée.
Pour mieux comprendre le phénomène, l’Institut d’études de sécurité (ISS) a mené des recherches sur les liens entre extrémisme violent, activités illicites et conflictualités locales dans la région du Liptako-Gourma. Le rapport, intitulé “Extrémisme violent, criminalité organisée et conflits locaux dans le Liptako-Gourma”, publié en début de la semaine dernière, repose sur des entretiens menés au Burkina, au Mali et au Niger.
Sans une grande surprise, il révèle que les différents types de groupes armés se côtoient dans le Liptako-Gourma : groupes extrémistes violents, groupes armés maliens signataires de l’Accord de paix et groupes d’autodéfense. Tous sont impliqués, directement ou indirectement, dans des activités illicites et dans des conflits locaux.
Le rapport précise surtout le mode de fonctionnement et d’approvisionnement des groupes terroristes dans la zone. “Les activités illicites sont au cœur des stratégies de survie, d’implantation et d’expansion des groupes extrémistes dans le Liptako-Gourma. Il s’agit notamment des trafics d’armes, de drogues, de motos, de carburant, du vol ou de l’enlèvement de bétail, de l’orpaillage et du braconnage. Les groupes extrémistes violents interviennent en tant que bénéficiaires, prestataires de services ou régulateurs des activités illicites”, indique le rapport. Pis, selon plusieurs témoignages recueillis, il apparait que des membres influents des groupes signataires de l’Accord, principalement du MNLA, sont bien impliqués dans l’acheminement d’armes aux terroristes.
Le MNLA sur le banc des accusés
“Un ancien du MNLA, qui a rejoint Ansar Dine, décrit l’implication du mouvement indépendantiste dans le trafic d’armes dans les régions de Gao et de Tombouctou. Le groupe assurerait le transport et la protection des armes à bord de véhicules tout terrain”, précise le rapport.
C’est fort de la légitimité́ que confère leur participation au processus de paix, ainsi que la marge de manœuvre dont ils jouissent dans le Nord du Mali, qu’ils constituent des stocks d’armes, dont une partie alimente un marché illicite.
L’étude, qui ne date pas d’avant le début du processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix, révèle surtout le volte-face des groupes signataires. Au moment où l’existence même du Sahel est menacée par la montée en puissance des terroristes, ces groupes signataires de l’accord se donnent le luxe de soutenir les extrémistes dans leur sale besogne : semer le chaos dans le Liptako-Gourma. “J’ai acheté des armes avec les membres du MNLA. Ce sont des arabes qui organisent ce trafic”, témoigne, le 4 décembre 2018, un ancien membre du Mujao. Comme lui, d’autres témoignages accablants incriminent ces mouvements. En plus, des mouvements comme le Ganda koy ou encore le Gatia sont aussi cités surtout dans le registre du trafic de drogue.
“Le trafic de drogue est organisé par d’autres. Nous assurons juste la sécurité des convois provenant de la Mauritanie et transitant par Tombouctou”, a révélé aux chercheurs un membre de Ganda Koy d’Ansongo, le 6 décembre 2018. Un membre du Gatia de Douentza enfonce le clou le même mois : “tous les groupes sont impliqués dans le trafic de drogue. Nos chefs nous demandent souvent de ne pas fouiller certains véhicules de marchandises”.
Il apparait donc clairement que tous ses mouvements, vantant leur engagement pour la paix et la sécurité, n’agissent que dans leur seul et unique intérêt : maintenir l’insécurité et le chaos pour vivre du trafic.
“Le Nigeria, Benin, Togo, Ghana et la Côte d’Ivoire doivent tous collaborer”
Selon l’ISS, la moto est le mode de déplacement privilégié des populations dans cette zone. “Les témoignages relatant les attaques menées contre des cibles militaires et les incursions dans les villages et villes évoquent l’usage de motos”, explique le rapport, ajoutant que “celles-ci consomment peu de carburant, sont faciles à entretenir, accessibles et relativement abordables, comparativement à des véhicules tout terrain”.
Le trafic de motos, tel que mis en évidence par l’étude dans le Nord Tillabéry, facilite l’accès des groupes extrémistes violents à ces biens. Les récits recueillis auprès d’interlocuteurs impliqués dans cette activité fournissent des informations sur son organisation, ses acteurs, les modes opératoires et les routes empruntées.
Selon plusieurs interlocuteurs, selon le rapport, chaque semaine plusieurs dizaines de motos, jusqu’à 60 selon certains dires, se vendraient les jours de marché dans deux villes (mardi à Sanam et jeudi à Abala). “Les motos proviendraient en très grande partie du Nigeria et seraient convoyées jusqu’au Nord Tillabéry, au Niger. Les villes de Sanam et Abala sont présentées comme les principales plaques tournantes de cette activité. Une partie des motos qui y sont commercialisées prendrait la direction du nord du Mali notamment de la région de Ménaka”. “Une autre route de trafic de motos en direction du Niger, passant par l’Est du Burkina, a été́ mise en évidence. Les motos proviendraient ou transiteraient par Cinkassé, ville située à la frontière entre le Togo et le Burkina. Elles traverseraient l’Est du Burkina puis le département de Torodi (région de Tillabéry) en direction de Niamey. Une partie des motos transitant par ces zones pourrait y être commercialisée”, affirme William Assanvo, …
En plus de cela, il révèle d’autres implications pour ces pays limitrophes. Ces pays constituent des zones d’approvisionnement, de transit ainsi que des sources de financement comme la vente de bétail volé parfois jusque dans les abattoirs des pays côtiers, l’écoulement d’or extrait au Burkina Faso par les djihadistes, etc.
Ce rapport, premier d’une série de deux rapports, est un véritable outil susceptible d’aider les pays du G5 Sahel et les forces opérants dans la zone. Il est important pour ces pays de couper les sources d’approvisionnement des djihadistes en renforçant le contrôle sur les corridors et en isolant les principaux bailleurs des terroristes. Il s’agit des membres de la CMA impliqués et des groupes d’autodéfense. Aussi, il révèle la nécessité d’impliquer les pays voisins de la sous-région aux activités du G5 Sahel pour une lutte efficace et coordonnée.
L’Institut d’études de sécurité est une organisation africaine à but non lucratif ayant des bureaux en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. L’ISS établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences afin de bâtir un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS fait usage de ses réseaux et de son influence pour proposer aux gouvernements et à la société́ civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.
Sory I. Konaté
Encadré :
LUTTE CONTRE LE TERRORISME : Ces dignitaires de la CMA qui méritent la prison
Les révélations faites par l’ISS dans son dernier rapport sur le Liptako-Gourma n’ont rien de surprenant. Pour rappel, c’est l’Onu qui a été la première institution internationale à sanctionner des responsables de la CMA pour trafic et terrorisme. En effet, le 10 juillet 2019, 5 responsables de la Coordination ont été accusés de bloquer la mise en œuvre de l’accord pour la paix en prêtant main forte aux terroristes et aux narcotrafiquants.
Parmi les sanctionnés, il y a Ahmed Ag Albachar, un intermédiaire entre la CMA et Ansar Eddine, le groupe terroriste d’Iyad Ag Ghali. Il y a aussi Mahri Sidi Amar Ben Daha, Mohamed Ben Ahmed Mahri, ancien du Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao, ex-groupe islamiste), Houka Houka Ag Alhousseini, ancien commandant du Mujao à Gao et Mohamed Ould Mataly, ancien maire de Bourem et actuel député RPM de Bourem.
Ces personnes, comme d’autres sanctionnées dans le passé par les Nations unies, ont bien leur place en prison pour terrorisme.