Les changements survenus au Nigéria – avec des élections présidentielles, l’allégeance déclarée au groupe djihadiste Daech et les succès significatifs obtenus sur le terrain par la coalition régionale récemment formée – ont attiré de nouveau l’attention sur la secte de Boko Haram, un an après l’enlèvement des deux cent soixante-seize lycéennes à Chibok, au nord-est du pays.
Les élections du 30 et 31 mars, qui ont donné la victoire à Muhammadu Buhari avec 53,9% de voix au détriment du président sortant Goodluck Jonathan, confirment l’alternance démocratique instituée depuis l’indépendance obtenue en 1960. Depuis, le Nigéria a connu 3 constitutions et 6 coups d’Etat militaires.
Le nouveau président, âgé de 72 ans, est un militaire musulman du Nord du Nigéria qui avait organisé un putsch et dirigé le pays de 1989 à 1985 dans le cadre d’une junte militaire. Il a récemment déclaré qu’une de ses premières démarches après la prise de pouvoir (fin Mai) sera de convoquer un sommet des leaders régionaux pour intensifier la coopération afin d’éteindre le conflit avec Boko Haram. On s’attend également qu’il fasse certains changements dans la hiérarchie supérieure de l’armée afin d’apporter plus d’offensive dans la stratégie contre Boko Haram, mais aussi pour améliorer l’image des militaires nigérians sur la scène internationale, ce qui pourrait conduire á la reprise de l’aide militaire de l’Occident.
Les Nigérians ont élu Muhammadu Buhari parce qu’ils le croient capable de combattre efficacement Boko Haram et de réduire la corruption. Le régime du président Goodluck Jonathan et son armée ont échoué devant le groupe terroriste qui a conquis plusieurs villes et instauré un Etat islamique à l’image de celui que Daech prétend instaurer en Irak et en Syrie. Selon plusieurs observateurs de la région, Boko Haram est, en grande partie, le produit d’une mauvaise gouvernance dont sont responsables les dirigeants corrompus de la fédération et l’attitude de l’ancien président Jonathan a été très tolérante envers la corruption.
Peu avant les élections, dans un enregistrement audio diffusé sur Twitter, Aboubakar Shekau, le chef de Boko Haram, a annoncé, le 7 mars, en pleine déroute militaire pour la secte terroriste, son ralliement à Daech, tout en promettant de «faire enrager les ennemis d’Allah». Le 12 mars, le porte-parole de Daech, Abou Mohamed Al-Adnani, a annoncé que le groupe a accepté l’allégeance de Boko Haram et a demandé aux musulmans «de se rendre en Afrique de l’Ouest afin de rejoindre leurs frères combattants sur place».
A cette occasion, Boko Haram a abandonné son ancien nom et s’est déclaré officiellement une province de «l’Etat Islamique»; la Wilāyat al-Sūdān al-Gharbī (arabe : ولاية السودان الغربي – Province de l’Afrique de l’Ouest).
Tout en soulignant que cette allégeance est survenue après les déroutes militaires de la secte depuis l’offensive des troupes nigérianes et alliées (Tchad, Niger, Cameroun et Bénin), les analystes apprécient que les implications concrètes de l’engagement de Boko Haram restent à voir. Malgré son ambition à jouer un plus grand rôle dans les réseaux mondiaux, Boko Haram n’a pas mis en place des structures de gouvernement dans les territoires qu’elle contrôle, comme l’a fait Daech en Irak et en Syrie.
Pour Daech, l’allégeance de Boko Haram est estimée à apporter 6 000 combattants et la présence du groupe en Afrique de l’Ouest, qui vient s’ajouter aux engagements que l’organisation terroriste a reçus de groupes venant de Libye, d’Algérie, d’Egypte et d’Afghanistan. Quant à Boko Haram, elle peut puiser dans le prestige et le pouvoir de Daech.
Malgré les revers militaires, Boko Haram continue de faire des dizaines de victimes, militaires et civils, comme au cours des attaques menées le 24 et 25 avril, qui figurent parmi les plus meurtrières infligées à la coalition africaine récemment mise en place.
Nigéria: une grande puissance minée par la corruption et le conflit social
Le Nigéria est un pays de près de 1 million de km2 et une population de 177 millions d’habitants. C’est un Etat fédéral, depuis la constitution de 1999, divisé en 36 Etats. Il est estimé que la population du Nigéria atteindra 440 millions en 2050, devenant le troisième pays le plus peuplé au monde après l’Inde et la Chine.
Du point de vue religieux, l’islam et le christianisme se partagent la population. L’islam est surtout prédominant dans le Nord, alors que le Sud est majoritairement chrétien. Il y a 250 ethnies au Nigéria dont les principales sont les Haoussas au Nord et les Yorubas au Sud. Les langues parlées au Nigéria sont au nombre de 521, souvent des dialectes, la langue officielle étant l’anglais.
Sur le plan géostratégique, le Nigéria est un des Etats pivots d’Afrique, ayant une capacité régulatrice de l’ordre politique régional ouest africain. La politique africaine des États-Unis s’appuyant sur les États pivots s’oppose à l‘approche française et européenne, plutôt régionale.
À bien des égards, le Nigéria répond à la définition d’État pivot. Les États pivots peuvent être considérés comme des pays destinés – en raison de leur emplacement stratégique, de leur potentiel économique et démographique, et des préférences politiques – comme des nœuds importants de la croissance économique et d’importants facteurs structurants de la géopolitique dans les principales régions du monde. De plus, un État pivot revêt une telle importance au niveau régional, que son effondrement peut générer l’instabilité dans les pays voisins. La situation géographique du pays, au cœur du complexe sécuritaire du golfe de Guinée, fait du Nigéria à la fois un facteur de stabilité sous-régionale et, paradoxalement, un vecteur potentiel de tensions vers les autres pays riverains. Les incidents meurtriers dans ces zones frontalières confirment les risques d’une déstabilisation des pays voisins à partir des foyers de tensions nigérians.
Membre de l’OPEP, intégré dans la CEDEAO, le Nigéria est la puissance économique et militaire dominante en Afrique de l’Ouest, avec l’armée la plus puissante de la région (80000 soldats). L’Afrique de l’Ouest reste son pré-carré, sa démographie et son économie «écrasent» ses voisins.
Sur le plan économique, le Nigéria devient officiellement, depuis le 6 avril 2014, la première puissance économique du continent et la 26ème plus grande économie dans le monde, dépassant l’Afrique du Sud. Le pays dispose de grandes ressources énergétiques (pétrole, gaz), naturelles, agricoles, hydrauliques et minières. Le produit intérieur brut (PIB) du Nigéria était de 510 milliards de dollars en 2013, contre 453,9 milliards de dollars en 2012. Le PIB sud-africain était d’environ 384 milliards de dollars cette même année. Toutefois, le PIB par tête d’habitant du Nigéria est de 2688 dollars contre 1555 dollars en 2012. Celui de l’Afrique du Sud reste nettement plus élevé, à 7 508 dollars.
Le Nigéria est enfin, avec l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte et le Sénégal, un pays fondateur du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), dont les principaux objectifs consistent à réduire la pauvreté, placer l’Afrique sur la voie du développement durable, mettre un terme à la marginalisation de l’Afrique et autonomiser les femmes.
Malgré sa grande richesse en pétrole, le pays est pauvre, du fait de la mauvaise gouvernance et d’une grande corruption. Au niveau de la corruption, le Nigéria est classé 130ème sur 180. On estime que seulement un quart de la population profite des revenus du pétrole.
La corruption – qui est à l’origine de la pauvreté qui sévit dans ce riche pays – est considérée aussi comme un des principaux facteurs qui ont favorisé le développement de la secte Boko Haram, la plus grande menace pour la sécurité du pays, car son but est de déstabiliser le pouvoir central en vue d’instaurer la charia. Son succès s’explique par la faiblesse de l’Etat nigérian, incapable de maintenir l’ordre et de gérer ce conflit du fait d’une forte corruption.
BOKO HARAM : DEVELOPPEMENT ET IDEOLOGIE
Boko Haram est un mouvement de type salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigéria, fondé en 2002, à Maiduguri. Il est aussi qualifié de secte, prônant un islam radical et rigoriste et ayant pour objectif d’instaurer un califat et d’appliquer la charia. Avant de s’associer aux thèses djihadistes d’Al-Qaïda et Daech, le mouvement a revendiqué une affiliation aux talibans afghans.
De 2002 à 2015 le nom officiel de Boko Haram est Groupe sunnite pour la prédication et le djihad (arabe : جماعة اهل السنة للدعوة والجهاد, Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad). Le nom de «Boko Haram», sa dénomination abrégée en haoussa, peut être traduit par «l’éducation occidentale est un péché». Le mot Boko désigne un alphabet latin, créé par les autorités coloniales pour transcrire la langue orale haoussa et, par extension, l’école laïque. Le mot Haram signifie «interdit» ou «illicite» dans l’islam. Ce nom aurait été attribué par la population locale et les médias, marqués par le discours de son chef qui rejetait l’éducation «occidentale».
Histoire
Le refus de l’éducation occidentale par des Musulmans de la région est connu depuis que le califat de Sokoto (qui comprenait la partie nord du Nigéria, le Niger et le sud du Cameroun) est entré sous contrôle britannique en 1903.
Des flambées de violence liées aux sectes musulmanes «antioccidentales» ont apparu dans le nord du Nigéria au début des années 1980. Le mouvement Maitatsine, qui interdisait jusqu’au port de montres, avait envahi les rues de Maiduguri et de Kaduna. La répression militaire de ses fidèles retranchés près du marché de Kano (la grande mégalopole du nord) avait fait plus de trois mille morts en avril 1984.
Boko Haram a été fondé par Mohamed Yusuf, prédicateur radical, à Maiduguri, capitale de l’Etat nigérian de Borno. Yusuf, qui avait étudié la théologie à l’université de Médine, en Arabie Saoudite, s’inspirait des prêches intolérants de l’Egyptien Shukri Mustafa, fondés sur l’excommunication et l’exil, et proférait de violentes critiques à l’endroit des autorités d’Abuja. Pour lui, l’application stricte de la loi islamique exprimait un idéal de justice conforme aux préceptes du prophète.
A l’automne 2003, la «cité céleste» de Yusuf, implantée à Kannamma, dans le Yobe profond, est attaquée par la police de l’Etat. Plusieurs fidèles sont tués. Le 22 décembre 2003, Boko Haram lance ses premières offensives contre les forces de sécurité, puis se replie sur Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno, où elle avait milité discrètement pour l’élection, en avril 2003, du nouveau gouverneur, Ali Moddu Sheriff, qui avait promis une application plus stricte de la charia. La secte installe à Maiduguri une mosquée et une école, qui attirent rapidement les jeunes désœuvrés des quartiers pauvres, mais également les étudiants déclassés des campus ainsi que des fonctionnaires paupérisés. Derrière la religion, un même profond ressentiment anime ces populations qui s’estiment abandonnées par les élites, le pouvoir central et les policiers fédéraux, corrompus et brutaux.
De 2004 à 2009, des heurts souvent violents opposent ses militants aux forces de sécurité. Le gouvernement sous-estime le danger et prend la secte pour un groupuscule d’illuminés sans soutien. En 2006, Mohamed Yusuf fait l’objet d’une enquête pour activités supposées illégales, mais l’instruction est abandonnée. Il est arrêté à plusieurs reprises, pour «rassemblements illégaux» et «troubles à l’ordre public», mais relaxé sur décision de la cour.
Le 26 juillet 2009, Boko Haram lance une série d’attaques simultanées dans quatre Etats du nord du Nigéria (Bauchi, Borno, Yobe et Kano). Le 30 juillet 2009, les forces de sécurité infligent une sérieuse défaite aux fondamentalistes et les chassent de la capitale de Borno, en faisant plus de huit cents morts. Mohamed Yusuf, capturé à Maiduguri, est abattu dans des circonstances floues. Jusqu’à présent, aucune commission d’enquête gouvernementale n’a été nommée pour faire la lumière sur les événements de juillet 2009. Les exécutions extrajudiciaires, dont celle de Yusuf (avec la diffusion des images de son élimination) radicalisent la secte.
Après l’échec de l’insurrection, de nombreux membres de Boko Haram prennent la fuite au Niger et au Tchad. La secte reste discrète et se réorganise près de Maiduguri, dans la région de la forêt de Sambisa. En septembre 2010, elle refait surface de façon spectaculaire, en prenant d’assaut la prison de Bauchi, réussissant à libérer 700 prisonniers dont 150 adeptes.
Après une période de luttes internes pour la succession de Mohamed Yusuf, c’est Aboubakar Shekau qui prend la tête de l’organisation. Il apparaît en juillet 2010 dans un enregistrement vidéo dans lequel il se proclame leader de Boko Haram et promet de continuer la lutte armée.
À partir d’avril 2011, le groupe multiplie les attentats à la bombe et commence les attentats-suicides. L’élection présidentielle de mai et la victoire de Goodluck Jonathan (chrétien du Sud) donnent l’occasion pour d’autres attentats. La volonté affichée du gouvernement à partir de juillet 2011 de négocier avec Boko Haram n’empêche pas celle-ci de poursuivre la lutte armée et de revendiquer l’attentat kamikaze contre la représentation des Nations Unies à Abuja le 26 août 2011.
En 2012, lors de la guerre du Mali, des hommes de Boko Haram partent combattre dans le nord du Mali au côté du Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et ils sont formés par les djihadistes locaux. En janvier 2013, des hommes de Boko Haram participent à la bataille de Konna contre les Maliens et les Français.
En mai 2013, à la suite d’un nombre important d’attaques, l’armée nigériane lance une grande offensive contre les djihadistes et le président Goodluck Jonathan proclame l’état d’urgence dans trois États du nord-est du pays: Borno, Yobe et Adamawa. L’armée nigériane remporte d’abord quelques succès, mais le groupe djihadiste reprend progressivement l’initiative. En août 2014, Boko Haram passe à l’offensive et commence à conquérir plusieurs villes. Face aux attaques de plus en plus violentes, l’armée nigériane est régulièrement critiquée quant au peu de combativité dont elle ferait preuve face aux islamistes.
Les principaux attentats commis par Boko Haram sont ceux de Damaturu (130 morts, le 4 novembre 2011), Kano (150 morts, le 20 janvier 2012), Benisheik (161 morts, le 18 septembre 2013), Izghe (environ 170 morts, le 15 février 2014), Gamboru Ngala (336 morts, le 5 mai 2014), Jos (au moins 118 morts, le 20 mai 2014), Goshe, Attagara, Agapalwa et Aganjara (plusieurs centaines de morts, le 3 juin 2014), Damboa (plus de 100 morts, la nuit du 17 au 18 juillet 2014), Kano (120 morts, le 28 novembre 2014). Selon Amnesty International, les tueries commises à Baga entre le 3 et le 7 janvier 2015 font de plusieurs centaines à peut-être 2 000 morts et pourraient être le massacre le plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram.
Le groupe cible particulièrement les établissements scolaires avec un enseignement jugé trop occidental, comme à Mamudo, Gujba ou Buni Yadi entre 2013 et 2014. Le rapt le plus important a lieu le 14 Avril 2014 à Chibok, où 276 lycéennes âgées de douze à dix-sept ans sont capturées lors d’un raid sur la ville. Le 5 mai, ce rapt est revendiqué par Aboubakar Shekau, qui déclare: «J’ai enlevé les filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d’Allah».
Dans une vidéo diffusée le 13 juillet 2014, Aboubakar Shekau a apporté son soutien à la fois à Abou Bakr al-Baghdadi, calife de Daech, Ayman al-Zawahiri, émir d’Al-Qaïda et au mollah Omar, chef des Taliban. En août 2014, Boko Haram a déclaré avoir institué un califat dans les régions sous son contrôle, avec la capitale dans la ville de Gwoza.
Le 5 janvier 2015, Shekau a annoncé son intention de reconquérir les anciens territoires du califat de Sokoto. Peu après, il a exposé sa doctrine idéologique, en se référant à Ibn Taymiyya et Mohammed ben Abdelwahhab.
Réunis au Niger à la fin du mois de Janvier 2015, treize pays africains et non-africains participent à une réunion consacrée à la lutte contre le groupe djihadiste, mais n’arrivent pas à organiser une riposte coordonnée. Toutefois, en février 2015, l’armée tchadienne intervient au Nigéria et remporte une série de victoires contre les djihadistes. L’armée nigérienne se retrouve également confrontée à Boko Haram après plusieurs mois de face à face tendu le long de la frontière. Devant les offensives des armées nigérianes, tchadiennes et nigériennes, Boko Haram perd les villes conquises.
Certains analystes ont considéré que la situation difficile du groupe aurait pu influencer l’allégeance déclarée par Boko Haram à Daech en Mars 2015.
La plus récente attaque de Boko Haram a eu lieu le 25 avril 2015, quand au moins une cinquantaine de soldats nigériens sont tués dans une position de l’armée nigérienne sur le lac Tchad.
Idéologie
L’idéologie du mouvement a largement évolué depuis Mohamed Yusuf, mais son objectif reste l’application de la charia au Nigéria. Le rejet de l’Occident s’accompagne d’une lecture littérale du Coran, qui fait par exemple dire à Mohamed Yusuf que la Terre est plate, ou que l’eau de pluie ne résulte pas de l’évaporation, puisqu’elle est une création d’Allah.
Bien que revendiquant une filiation avec l’islamisme salafiste et les talibans afghans, Boko Haram est fréquemment qualifié de secte, certains chercheurs soulignant que le groupe tient à la fois de la secte et du mouvement social. Il est sectaire par son intransigeance religieuse, son culte du chef, ses techniques d’endoctrinement et son intolérance à l’égard des autres musulmans. La doctrine de Boko Haram s’éloigne pourtant du modèle wahhabite, car elle endoctrine aussi par recours à la magie; certains fidèles de Boko Haram portent des grigris.
Certains considèrent que Boko Haram a été une secte jusqu’en 2009, avant de devenir un mouvement insurrectionnel islamiste après la mort de son fondateur Mohamed Yusuf. Outre sa doctrine religieuse, Boko Haram séduit car elle s’en prend à l’Occident qui a imposé, en Afrique, un modèle d’organisation politique contraire aux préceptes de l’islam et des mesures économiques qui n’ont toujours pas fait leurs preuves en matière de développement. Elle joue aussi sur le rejet massif de la classe politique nigériane accusée de détournements, enrichissements personnels, de passe-droits et d’incompétences face à son incapacité à résoudre les problèmes de développement qui se posent cruellement au pays.
D’autres observateurs ont souligné même la similarité de la secte avec les partis politiques d’extrême-droite en Europe, qui transforment en capital politique les frustrations de la société générées par la crise économique.
Ces éléments ont largement contribué au succès idéologique de Boko Haram, qui gagne du terrain aux dépens de l’islam confrérique, même à l’extérieur du Nigéria. Au Niger, on a vu, au début de l’année, la manifestation publique d’une idéologie proche de celle de Boko Haram. Pour la première fois au Niger, les manifestants s’en prirent ouvertement aux édifices religieux en incendiant des églises et en pourchassant des chrétiens. Faute d’avoir été combattu au Nigéria, dont le nord-est constitue son berceau, Boko Haram étend progressivement son influence au Niger, notamment à la région de Diffa.
Organisation
En 2014, les estimations sur les forces de Boko Haram étaient de 6000 à 30000 combattants. Un rapport du Chatham House évaluait de son côté à 8000 hommes le nombre des combattants du mouvement. Début 2015, les effectifs de Boko Haram sont estimés entre 4000 et 6000 hommes selon les Américains, 6000 à 7000 selon les Français et 13000 à 15000 d’après les Camerounais. Le mouvement recrute souvent de force, notamment en menant des raids contre des villages pour rafler des habitants. Certaines femmes sont utilisées comme kamikazes et les jeunes garçons sont enrôlés comme enfants-soldats.
Les combattants de Boko Haram proviennent notamment du groupe ethnique Kanouri, le plus large des trois États du Nord. La plupart des Kanouri ont des traces distinctives sur le visage et parlent l’haoussa avec un accent caractéristique, ce qui les fait faciles à reconnaître au Nigéria.
Le mouvement serait dirigé par un Conseil de la Choura d’une trentaine de membres. Selon un rapport du Département de la Sécurité Intérieure des États-Unis, cette structure est propice à la division et ne fournit pas de garantie lorsque quelqu’un prétend parler au nom du groupe. De plus, Aboubakar Shekau ne s’entourerait que de quelques chefs de factions et ne maintiendrait que très peu de contacts avec les combattants sur le terrain.
Quant á la communication, on a observé, au début de 2015, que Boko Haram se modernise, en se dotant d’un compte Twitter et d’une branche médiatique, Al-Urwa al-Wuthqa («L’anse la plus solide»). Le 21 février, Boko Haram diffuse une vidéo de propagande techniquement supérieure à celles réalisées auparavant, qui s’inspire des films de Daech.
Du point de vue financier, initialement Boko Haram était financée par des politiciens de Maiduguri. Après le début de l’insurrection armée, on a commencé à taxer les populations locales et à gérer divers trafics. Localement, les djihadistes capturent régulièrement des otages qui sont libérés contre rançons et, à partir de 2013, Boko Haram revendique ses premiers enlèvements d’Occidentaux. Au début des années 2010, il reçoit une aide financière d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et bénéficierait également de donations venues des pays du Golfe. Selon les autorités locales, les insurgés tirent également d’importants revenus de la contrebande de poissons séchés, revendus sur les marchés dans le nord du Nigéria.
Ansaru : une «dissidence» de Boko Haram
Selon certaines sources, une cellule internationaliste de Boko Haram aurait été formée par des cadres réfugiés à l’étranger après la répression de juillet 2009 et serait, à un certain moment, dirigée par un certain Mamman Nur.
Celui-ci, aussi connu sous le nom Abu Usmatul al-Ansari, est, comme Aboubakar Shekau, un ancien associé de Mohamed Yusuf. Au début de l’année 2012, Abu Usmatul al-Ansari a dénoncé comme inhumaines les attaques menées par Boko Haram et a fondé un mouvement dissident appelé Ansaru, qu’il a lancé dans une vidéo présentée le 2 Juin 2012.
Abu Usmatul al-Ansari pourrait être aussi le nom d’emprunt de Khalid al-Barnawi, un partisan de Boko Haram qui aurait été entraîné par al-Qaïda au Maghreb Islamique, en Algérie, au milieu des années 2000. Il est d’origine camerounaise et il a, par conséquent, un intérêt à ce que Boko Haram se détache du Nigéria afin qu’il puisse justifier sa place de chef du groupe.
Abu Usmatul al-Ansari a des liens avec Al-Shabaab de Somalie, ainsi qu’avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Il aurait passé du temps au sein de ces mouvements entre la mort de Yusuf et son retour au Nigéria en 2011.
A la différence de Boko Haram, qui lutte principalement contre le gouvernement nigérian, Ansaru est principalement orienté vers la lutte contre l’Occident et la protection des musulmans dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.
Ansaru semble coordonner des actions avec la branche d’Al-Qaïda basée au nord du Mali, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ainsi qu’avec le Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). À la différence de Boko Haram, Ansaru semble principalement organiser des enlèvements d’étrangers.
Ansaru aurait également participé à l’attaque de Tigantourine (Algérie), en janvier 2013, et aux attaques commises au Niger contre l’armée nigérienne et le groupe français Areva.
Même si, pour le moment, aucun rapprochement ne semble s’opérer entre les deux mouvements, la possibilité d’une telle alliance est considérée un risque majeur, car il s’agirait d’une secte islamiste avec une base sociale et un territoire, alliée avec un groupe terroriste professionnel et très mobile.
DERRIERE LE TERRORISME NIGERIAN: DES INTERETS GEOSTRATEGIQUES
Le développement de Boko Haram n’a pas manqué d’être analysé dans le contexte géopolitique, d’autant plus que le Nigéria est devenu la première puissance économique africaine depuis le premier trimestre 2014, premier pays producteur de pétrole en Afrique et première puissance démographique. Le fait que cette position est minée par le climat d’extrême violence généré par Boko Haram – dont la capacité de frappe fait une menace pour toute la sous-région – a déterminé certains analystes à chercher des liens de cause à effet entre Boko Haram et le classement du Nigéria comme grande puissance économique africaine.
Le pétrole, découvert en 1956 dans le delta du Niger, est produit à 40% par la compagnie anglo-néerlandaise Shell et représente 95% des recettes d’exportation et 80% du revenu du pays. Nigéria est le 5ème producteur de l’Organisation des Producteurs et Exportateurs de Pétrole (OPEP), qu’il a rejoint en 1970, et 10ème au niveau mondial. Cependant, si le Nigéria est le premier pays producteur de pétrole en Afrique, il ne possède pas encore une raffinerie. Aussi est-il obligé d’importer sa consommation en carburant soit d’Europe ou des États-Unis.
Perdre le contrôle du Nigéria, qui produit 2,5 millions de barils par jour, serait un coup dur pour Paris, Londres et Washington. D’autant plus que le Nigéria et son voisin le Cameroun sont indispensables pour les acteurs internationaux qui se disputent le contrôle du Golfe de Guinée.
Selon les analystes, Boko Haram répond à l’enjeu secret de freiner la montée du Nigéria comme puissance régionale en Afrique de l’Ouest et contrer la percée en Afrique des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, notamment la Chine et le Brésil.
Des ennemis hors du continent
Le Nigéria a tout pour attirer les investisseurs étrangers, outre que les partenaires classiques. Mais aussi, en tant que triple puissance (démographique, économique et pétrolière) africaine, le Nigéria s’est involontairement attiré des ennemis hors du continent.
a) Pour les analystes russes, par exemple, le manque d’effort des Etats-Unis pour combattre les insurgés de Boko Haram semble suivre une logique géostratégique simple: pas de pétrole, pas de soutien sécuritaire.
Malgré les gains territoriaux de Boko Haram et des avancées importantes pour la domination djihadiste de la région, les Etats-Unis semblent négliger la menace en provenance du réseau terroriste nigérian, si l’on compare le manque de présence américaine au Nigéria aux efforts considérables déployés par Washington contre Daech en Irak et en Syrie.
Une explication fournie par les analystes russes est celle que les États-Unis, qui tentent de maîtriser l’exploitation du gaz de schiste, se sont éloignés de leurs fournisseurs étrangers, Nigéria étant le premier pays à cesser de vendre du pétrole aux Etats-Unis, selon les statistiques du Département US de l’énergie. Le Nigéria était l’un des cinq premiers fournisseurs de pétrole des États-Unis, il y a moins d’une décennie, lui fournissant 1,3 million de barils de pétrole par jour.
b) De leur côté, les pétromonarchies arabes (qui, à leur tour, observent un éloignement des Américains) s’inquiètent d’un Nigéria trop puissant qui pourrait ne plus se soumettre au diktat de l’Arabie Saoudite et du Qatar sur le marché du pétrole et du gaz, comme le font l’Iran (2ème) et le Venezuela (5ème producteur de pétrole mondial), qui gèrent leur pétrole en toute souveraineté.
La crainte des pétromonarchies arabes, et sans doute de leurs clients, était que le Nigéria se lance dans l’indépendantisme économique et politique contraire aux intérêts de la majorité des membres de l’OPEP. Il fallait donc éviter tout risque que le Nigéria se lance dans des aventures, au pire en nationalisant son pétrole, au mieux en ne respectant pas les quotas de production ou en refusant (comme l’avaient fait, par exemple, l’Irak et la Lybie) d’accepter le paiement de son pétrole en dollars qui permet aux États-Unis «d’exporter» leur dette intérieure.
Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que l’on évoque avec de plus en plus de précision les allers-retours, entre Riyad et Kano, de porteurs de valises remplies de dollars pour soutenir l’action de Boko Haram dans l’ancien Califat de Sokoto (qui englobait au XIXème siècle le nord du Nigéria, le nord du Cameroun, le sud du Niger et du Tchad). On a vu des valises identiques avec des porteurs différents se promener en Soudan, Afghanistan, Libye, Syrie, Mali, Tunisie etc., dans les endroits où l’Arabie Saoudite ou le Qatar le jugeaient utile à leurs intérêts.
Toutefois, il faut souligner que, même si l’expansion de l’islam radical dans la zone sahélienne a été favorisée et financée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, la dynamique de développement du conflit est due à des causes internes: corruption, inégalités, mal développement, violences étatiques sont le plus sûr terreau au développement de ce que les analystes appellent déjà les guerres africaines de troisième génération.
Le pétrole et l’effet chinois
A tout cela s’ajoute le «crime» commis par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, celui de briser le monopole des entreprises occidentales sur l’exploitation des gisements de pétrole du Nigéria en ouvrant les puits aux Chinois.
En avril 2006, Obasanjo, qui n’avait pas reçu l’appui des Occidentaux dans sa tentative de modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir, se tourna vers la Chine, et les autorités nigérianes annoncèrent avoir signé un contrat d’exploitation avec China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) pour plus de deux milliards de dollars avec une prévision de production de 225000 barils/jour. La partie chinoise se donnait deux ans pour produire son premier baril de pétrole en Nigéria.
Dans la même logique, le président Obasanjo a négocié un prêt d’un milliard de dollars auprès du gouvernement chinois afin de financer la réhabilitation des voies ferrées du Nigéria et acheter du matériel roulant, dans un programme qui continue même de nos jours.
En effet, le gouverneur de l’Etat nigérian d’Ogun (sud-ouest du pays), Ibikunle Amosun, vient d’annoncer que la China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC) va construire une ligne de chemin de fer dans l’Etat pour 3,5 milliards de dollars. En novembre 2014, le géant China Railway Construction Corporation (CRCC) avait signé un autre méga-contrat avec les autorités nigérianes, s’élevant à environ 12 milliards de dollars, pour la construction d’une ligne ferroviaire à Lagos. Deux ans plus tôt, la même compagnie avait remporté le contrat de construction de la ligne ferroviaire reliant Lagos à Ibadan, la capitale et principale ville de l’Etat d’Oyo, au sud-ouest du Nigéria. Le projet était estimé à 1,5 milliard de dollars.
Favorisant l’Africom
Dans ce contexte, on observe que les événements et le mode opératoire de Boko Haram envoient à des connexions très complexes, la secte étant parfois très «utile» pour les intérêts des pouvoirs qui cherchent a empêcher le Nigéria d’atteindre le statut de puissance régionale.
Face à la redéfinition des équilibres géostratégiques imposée par la pénétration de la Chine en Afrique, Boko Haram, comme la Séléka en République Centrafricaine, est devenue une arme pour préserver la mainmise des multinationales occidentales sur les matières premières et accélérer la mise en place d’Africom, le Commandement militaire de l’US pour Afrique.
Sous le prétexte de la campagne anti-terroriste, Washington a installé des bases militaires dans la partie de l’Afrique particulièrement riche en minerais précieux et très sollicités par la Chine qui en a grand besoin pour son industrialisation (voir carte en annexe).
L’Africom a été lancé en 2008, année où la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) démarrait ses activités pétrolières au Nigéria. Dans la précipitation, les USA n’ont pas attendu d’obtenir un accord pour un siège en Afrique de l’Africom, ce qui fait que le Commandement militaire américain pour l’Afrique est toujours basé à… Stuttgart en Allemagne.
Selon certains observateurs des problèmes africains, l’Africom est le bras militaire de la diplomatie US pour contrer l’émergence d’une puissance endogène et surtout pour écarter la Chine de Afrique.
S’appuyant sur des câbles de Wikileaks, l’organisation Greenwhite Coalition affirme que pendant plusieurs années, les USA ont fait des efforts pour déstabiliser le Nigéria, qui était en train de devenir une puissance régionale. Un exemple en était l’Ecomog (Economic Community of West African States Monitoring Group), la force militaire de la CDEAO (Communauté de Développement des Etats de l’Afrique de l’Ouest), majoritairement constituée de militaires nigérians, qui avait joué un rôle important dans les guerres civiles au Libéria et en Siéra-Léone.
Craignant que le Nigéria utilise l’Ecomog pour supplanter l’influence des grandes puissances dans la région, en 2004 le président Georges Bush a utilisé le projet Acri (Africa Crisis Response Initiative) . Avec l’aide de la CIA, l’Acri a recruté des jeunes islamistes qu’elle a formé pour la collecte de renseignements, le maniement des armes, les techniques de survie.
Les officiers de la CIA impliqués dans ce projet se tenaient prudemment dans l’ombre, en laissant le travail concret dans les camps à des surveillants originaires du Proche-Orient spécialement recrutés à cet effet.
Des jeunes ainsi formés auraient été mis à la disposition de Boko Haram. Greenwhite Coalition a affirmé également que la CIA avait installé des camps d’endoctrinement et de formation le long des frontières poreuses du Nigéria, du Cameroun, du Tchad et du Niger.
Un autre câble Wikileaks révèle que la déstabilisation du Nigéria était coordonnée par l’ambassade des USA, notamment par l’ambassadeur Terence P. McCulley , l’un des architectes de l’Africa Crisis Response Initiative et coordinateur de la politique étrangère d’Africom. Son expérience est mise à contribution pour fragiliser le pouvoir fédéral afin de justifier l’intervention des pays de l’OTAN.
«Bring back our girls», couverture pour les drones
Pour mieux comprendre l’implication des USA dans la déstabilisation du Nigéria, un exemple révélateur est la campagne «Bring back our girls», lancée personnellement par Michelle Obama, la première dame des Etats Unis d’Amérique, qui a légitimement attiré l’attention du monde sur le sort des filles enlevées de Chibok par la secte islamiste.
En fait, au nom de la recherche des lycéennes, le président américain a décidé l’envoi de 70 militaires au Tchad et a profité pour renforcer les effectifs militaires US au Nigéria. Jusqu’en mai 2014, 50 soldats américains étaient régulièrement affectés à l’ambassade des USA au Nigéria. 20 Marines y assuraient la formation des militaires locaux. La campagne lancée par Michelle Obama a permis d’accroître ce nombre.
«Bring back our girls» a permis aux Etats-Unis de quadriller l’Afrique de l’Ouest, établissant l’axe Mogadiscio-Ouagadougou, avec 12 pays. A ce jour, 29 pays africains ont accordé le droit aux USA d’utiliser leurs aéroports. Et les forces spéciales sont toujours précédées des hommes des renseignements qui collectent des données utiles pour les militaires, mais font aussi de l’espionnage économique et industriel.
Vers une scission du Nigéria?
Le phénomène Boko Haram, qui a été généré par la scission entre le nord et le sud du pays, contribue maintenant à accentuer ces différences, en favorisant certains plans qui envisagent même la division de l’Etat nigérian.
Les opérations de Boko Haram s’inscrivent dans un double contexte: d’une part un rapport de force politique et militaire entre le nord du pays musulman (45% de la population) et le sud christianisé (35%) ou animiste (20%), et par voie de conséquence, un problème de contrôle des ressources hydrocarbures qui se trouvent essentiellement au sud. Depuis une quinzaine d’années, les nordistes musulmans qui contrôlaient historiquement les postes de responsabilité de l’armée et de l’administration ont progressivement perdu leur position de dominance au profit des élites sudistes. Cette perte de statut, de prestige et surtout du contrôle de la rente hydrocarbure qui permettait de fidéliser politiquement les populations du nord a contribué à alimenter le courant extrémiste musulman incarné par Boko Haram.
Entre 2006 et 2007, le président nigérian Olusegun Obasanjo avait usé de tous les stratagèmes pour écarter le candidat favori du Nord à la présidentielle, Atiku Aboubacar, en faveur du malade Oumarou Yar’Adoua (aussi du Nord, mais sans soutien populaire dont bénéficiait le richissime Atiku Aboubakar que l’entourage d’Obasanjo trouvait trop proche de Washington). De cette façon, Olusegun Obasanjo a renforcé le clivage Nord-Sud. Depuis, Boko Haram, que certains voient comme un cheval de Troie de l’élite du Nord, dispose désormais d’armes lourdes et de troupes plus entraînées, à l’image de Daech.
Le 5 mai 2010, à la mort du président nordiste Oumarou Yar’Adoua, le pouvoir revient au Sud avec l’élection de Goodluck Jonathan, originaire de la région pétrolifère du Delta du Niger. Les musulmans du Nord se sentent une fois de plus floués. Ils estiment que Goodluck Jonathan et Obasanjo ont violé l’accord tacite qui veut que non seulement le Nord et le Sud dirigent le pays à tour de rôle, mais aussi qu’il revient à chaque partie de choisir son candidat-président. À l’approche de l’élection présidentielle de 2015, Boko Haram multipliait les actes de terreur visant à fragiliser le président sudiste.
Par conséquent, on se demande déjà si le géant nigérian ne se dirige pas vers une partition entre le nord musulman et le sud chrétien. Une probable scission des Etats de l’Afrique sous-saharienne, le Nigéria y compris, était prédite pour 2015 dans un rapport du National Intelligence Council des USA.
D’autres sources parlent de la constitution d’un nouvel état regroupant le nord du Nigéria, du Cameroun, de la Centrafrique et le sud du Tchad et qui sera un émirat islamique comme celui qui se prépare en Irak (voir carte ). Le processus de division serait composé de trois étapes:
1) La «Pakistanisation» du Nigéria par des attentats visant les valeurs des deux fois afin d’inciter á la violence et provoquer des conflits religieux, qui dépasseront les ressources du gouvernement et vont accentuer l’instabilité du pays.
2) L’internationalisation de la crise: la violence sectaire entraînera des appels des puissances occidentales pour stopper le conflit et des offres d’aide humanitaire, combinés avec une campagne média pour soutenir la nécessité d’une intervention internationale pour faire cesser le conflit. Pendant de temps, loin des réflecteurs, des plans seront élaborés pour la partition du Nigéria conformément aux intérêts stratégiques et économiques des occidentaux.
3) La grande partition sous mandat ONU: l’outrage international face à la violence sectaire secrètement induite au Nigéria par les USA et leurs alliés mènera l’affaire devant l’ONU, avec des propositions d’une force internationale pour séparer les parties en conflit et des mandats de l’ONU sous lesquels les différentes parties du pays vont tomber sous l’occupation de un pouvoir ou d’un autre, conformément à leurs intérêts économiques. Ces parties auront des autorités de paille qui seront en fait des poupées du pouvoir d’occupation.
Le principal bénéficiaire d’un tel processus sera l’USA (qui est, en fait, à l’origine du plan), qui aura éliminé un rival potentiel sur le continent et, en même temps, aura limité l’avance de la Chine et son accès aux ressources du continent africain dont elle a besoin.
Le procès de déstructuration sur le continent africain répond aux intérêts des acteurs en lutte pour l’hégémonie planétaire, pour lesquels tout Etat souverain est un danger et tout Etat très grand doit être divisé en entités plus facilement manipulables comme au Soudan , et comme prévu pour l’Irak.
Quant à Boko Haram, comme un instrument au service de l’élite nordiste du Nigéria, elle aura atteint l’une de ses missions historiques. Mais, puisqu’elle est aussi au service des puissances étrangères, Boko Haram pourra migrer vers un autre pays exactement comme l’ont fait les djihadistes takfiri abandonnant la Lybie conquise pour la Syrie de Bachar Al-Assad. En clair, ses combattants pourront être envoyés sur un nouveau front pour une mission similaire: contrer la Chine et laisser la place libre pour les multinationales occidentales.
CONCLUSION
Malgré les récents succès contre Boko Haram, les analystes considèrent qu’il est trop tôt pour clamer la victoire, car le groupe – en ce moment le plus durable de l’histoire du pays – est estimé comme ayant toujours quelques 9000 combattants, avec des cellules spécialisées en attaques à la bombe et des importantes ressources financières et d’armement.
Pour le moment, les attaques de Boko Haram continuent au Nigéria comme aux pays voisins. En plus, il paraît qu’aucune figure importante de Boko Haram n’a été capturée ou annihilée pendant les récentes opérations. D’ailleurs, Boko Haram continue sa pratique de ne pas laisser ses morts sur les champs de bataille, ce qui fait difficile d’évaluer ses pertes ou de savoir si des leaders ont été tués ou blessés.
Aux yeux des analystes sur le terrain, Boko Haram dispose encore de possibilités de se regrouper et se refaire des ressources, au Nigéria et à l’extérieur des frontières. Le support et l’influence de Daech signifie que Boko Haram est loin d’être annihilée et peut même gagner en complexité et sophistication.
Un autre risque vient de l’expansion rapide de ces conflits, depuis la base arrière – au Nigéria dans le proto-Etat que contrôle Boko Haram – dans un espace de conquête et de destruction: au Cameroun, puis au Niger et, enfin, au Tchad. Ce sont des zones de frontières indécises, et sous-peuplées, dont les peuples, qui sont à cheval sur de fragiles tracés frontaliers, sont souvent tentés de se solidariser avec la guérilla djihadiste face à la répression aveugle qu’exercent contre eux les militaires ou les milices des autorités.
D’autre part, les activités de Boko Haram font de cette organisation un instrument efficace et peu coûteux pour maintenir le Nigéria sous contrôle, compte tenu des divisions du pays, de la gabegie régnant au niveau de l’Etat fédéral et de la corruption sévissant à tous les niveaux de la vie publique et en particulier de l’armée. Pour Boko Haram, il n’a pas été difficile d’affaiblir le pouvoir central, de démontrer son impotence, de lui interdire tout «aventurisme» politique ou économique, de le rendre dépendant de l’assistance militaire et sécuritaire des membres de l’OTAN.
La France se voit déjà dans la perspective d’intervenir dans une vingtaine de pays africains en conflit. Les stratèges occidentaux redoutent par-dessus tout la coalescence de foyers encore épars: Sahel, zone sous contrôle de Boko Haram et Centrafrique.
Le phénomène le plus inquiétant sur le long terme est la transformation des populations, dans autant de pays autrefois en paix, en sociétés guerrières, d’autant que les enjeux continentaux s’exacerbent, que la violence armée appelle toujours plus de contre-violence et que l’espoir d’une vraie régulation de fond des conflits – par des mesures économiques contre la pauvreté et par le traitement social des inégalités – semble définitivement s’éloigner.
Annexe
La présence militaire américaine en Afrique
Source : http://reseauinternational.net/boko-haram-bras-arme-loccident-detruire-nigeria-chasser-chine-du-golfe-guinee/3-5-6d969/