Sahara occidental : Staffan de Mistura, mission impossible 2

Sahara occidental : Staffan de Mistura, mission impossible 2

Entré en fonction il y a tout juste un an, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental a hérité d’un dossier complexe sur lequel il a peu de prise.

Des encouragements. C’est ce dont a dû se contenter Staffan de Mistura, le 27 octobre, lorsque 13 des 15 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont approuvé une résolution prolongeant d’un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) jusqu’au 31 octobre 2023.

Le texte a également réaffirmé le soutien de l’ONU au diplomate, qui vient de fêter sa première année en tant qu’envoyé personnel du secrétaire général António Guterres dans la région. Depuis mai 2019 et la démission de l’allemand Horst Köhler, le poste était vacant.

Arrivé dans un contexte de dégradation des relations entre toutes les parties prenantes du conflit, de la rupture de l’accord de cessez-le-feu de 1991 suite aux évènements de Guerguerate en novembre 2020, suivie quelques mois plus tard du gel des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, l’émissaire onusien était promis à un emploi du temps chargé.

Mais un an après sa nomination, les choses n’ont que très peu évolué. Chaque acteur campe sur ses positions et continue d’envoyer des signaux qui n’augurent aucune désescalade à court ou moyen terme. En témoigne la reprise des hostilités sur plusieurs portions du territoire, ainsi que les passes d’armes médiatiques quotidiennes entre les presses marocaine et algérienne.

Autre signe qui ne trompe pas, les deux voisins du Maghreb ont décidé d’augmenter leurs dépenses militaires. Dans son projet de loi de finances, l’Algérie envisage même de doubler son budget défense.

« Mission impossible »

Dans quelle galère est donc allé se fourrer Staffan de Mistura ? À 75 ans, avec une quarantaine d’années d’expérience à son actif, intégralement passées dans les arcanes de l’ONU, Staffan de Mistura est un médiateur rompu aux casse-tête diplomatiques. Avant d’être sorti de sa retraite par António Guterres, il a travaillé, tout au long de sa carrière, sur une vingtaine de conflits armés.

Il se fait remarquer dès ses débuts. Alors qu’il effectue sa première mission au Soudan en 1971, en tant que responsable du Programme alimentaire mondial de l’ONU, il fait peindre des dromadaires en bleu afin que les hélicoptères puissent les reconnaître depuis le ciel et les protéger jusqu’à ce qu’ils acheminent leurs marchandises, en l’occurrence des vaccins, vers les populations civiles…

La suite est à la hauteur des attentes suscitées. L’Italo-Suédois occupera les plus hauts postes que puisse proposer l’institution, dans une multitude de régions sensibles : Liban, Irak, Afghanistan, Somalie… La liste n’est pas exhaustive.

En 2014, il prend en main le très complexe dossier syrien. Terrorisme, guerre civile, ingérences étrangères… La Syrie est alors la scène internationale la plus scrutée du moment, et de nombreux experts et observateurs s’accordent à dire que la possibilité de parvenir à un compromis relève d’une « mission impossible ».

Le 30 juin 2015, un an après sa nomination, le quotidien britannique The Guardian titre même « L’homme au travail le plus difficile du monde », en référence au poste d’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, qui a découragé plusieurs des meilleurs diplomates de leur génération tels que Kofi Annan ou Lakhdar Brahimi.

Pour Romuald Sciora, chercheur franco-américain spécialiste des Nations unies, auxquelles il a consacré plusieurs ouvrages et qui a bien connu Staffan de Mistura à l’époque où il était en poste au Liban au début des années 2000, l’Italo-Suédois est « l’un des derniers, si ce n’est le dernier poids lourd de la grande période de l’ONU post-seconde guerre mondiale, à l’époque où celle-ci était un acteur incontournable et où le multilatéralisme avait un sens ».

Pourtant, en octobre 2018, après quatre ans et quatre mois passés en exercice, celui qui affirmait souffrir « d’une terrible maladie chronique, celle de l’optimisme », jette à son tour l’éponge, officiellement pour « raisons personnelles ».

Personne n’en saura davantage, même si certains médias évoquent son récent mariage ainsi qu’une « lassitude » liée à son impossibilité de peser dans les négociations.

Le 5 novembre 2019, à l’occasion d’une conférence à Londres organisée par l’université Aga Khan, Staffan de Mistura revient pour la première fois sur les circonstances de son départ : « Pourquoi suis-je parti l’année dernière ? Officiellement pour des raisons personnelles. Officieusement, parce que je sentais que la guerre sur le terrain touchait à sa fin, et qu’ayant assisté à ce qu’il s’était passé à Alep et Idlib, je ne pouvais pas me raser le matin en me disant « maalich » [ce n’est pas grave en arabe, NDLR]. »

L’intéressé a également reconnu que certaines de ses prises de position « ont réduit son espace de négociation », notamment lorsque l’ONU a dénoncé des crimes de guerre.

Bis repetita ?

Staffan de Mistura savait donc très bien à quoi s’attendre lorsqu’il a accepté de reprendre l’affaire du Sahara occidental qui, sur la forme, n’est pas sans faire écho à sa précédente mission. En particulier par le manque de volonté politique des acteurs censés parvenir à un compromis, ou encore par l’ingérence d’une puissance extérieure, l’Algérie.

Sans oublier le mépris du droit international, qui complique le travail des diplomates onusiens, et dont le plus grand symbole reste à ce jour la reconnaissance par l’administration Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, effectuée en dehors de toute législation internationale. Un mode opératoire qui ne dérange nullement le Maroc, du moment que cela lui permet d’engranger des succès sur le terrain diplomatique.

Une situation qui explique pourquoi, malgré ses rencontres avec les officiels marocains, algériens, ainsi qu’avec les dirigeants du Polisario, Staffan de Mistura se retrouve isolé, voire marginalisé du conflit, à l’image de l’institution qu’il incarne, dont l’influence sur le cours des évènements décroît d’années en années. « L’ONU est devenue un nain sur la scène politique, poursuit Romuald Sciora. Les agences humanitaires continuent d’effectuer un travail remarquable, mais le conseil de sécurité ne représente plus aucune autorité, et les États ne se sentent plus obligés de suivre ses recommandations. »

Un ostracisme qui s’est illustré au cours des deux tournées de l’émissaire dans la région, aux mois de janvier et juillet-septembre 2022, qui n’ont débouché sur aucune réalisation concrète. Sa visite prévue à Laâyoune a même été annulée sans aucune justification.

Des épisodes dont l’ONU a tiré les conclusions dans sa résolution d’octobre, réclamant aux parties de « faire preuve d’une plus grande volonté politique de parvenir à une solution, notamment en examinant de façon plus approfondie leurs propositions respectives et en renouvelant leur engagement en faveur de l’action menée par les Nations unies », les invitant au passage à faire preuve « de réalisme et d’un esprit de compromis ».

« S’il y a bien quelqu’un qui puisse tenter quelque chose, c’est Staffan de Mistura », assure toutefois Romuald Sciora. « Il sait comment communiquer et ouvrir le dialogue. Le problème est qu’il hérite d’un litige insoluble, un peu comme le dossier chypriote. Il est impossible à l’heure actuelle d’avoir un vrai dialogue entre Rabat et Alger, et la tentative de faire appel à la Russie pour participer aux médiations n’est plus d’actualité car la guerre en Ukraine a transformé cette dernière en paria à l’ONU », poursuit le chercheur.

Mais par quel angle aborder le problème ? Comment parvenir à amorcer une détente compte tenu de l’état actuel des choses, et alors que le Maroc et l’Algérie demeurent par ailleurs enlisés dans une inoxydable surenchère médiatique agressive et très peu constructive ?

À ce stade, l’objectif principal de Staffan de Mistura est de ramener tout le monde à la table des négociations, notamment l’Algérie, comme y était parvenu son prédécesseur en décembre 2018 et mars 2019. Mais les circonstances ont entre-temps bien changé, et depuis la rupture du cessez-le-feu il y a tout juste deux ans, les tensions n’ont fait qu’aller crescendo.

Le 27 octobre, lors d’un point presse réalisé à l’issue du vote de la résolution de l’ONU, le ton est encore monté d’un cran. Le représentant permanent du Maroc aux Nations unies, Omar Hilale, a déclaré qu’en cas de retrait de la MINURSO, le Maroc pourrait se réapproprier les terres contrôlées par le Polisario.

Nœud gordien

Comme si cela ne suffisait pas, Staffan de Mistura doit composer avec une difficulté supplémentaire. Si le Polisario campe à tout prix sur sa position, c’est-à-dire sur sa demande d’application de l’accord de cessez-le-feu de 1991, c’est parce que celui-ci lui était lui était favorable, et prévoyait notamment l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU.

Or, l’organisation internationale reste tributaire des États qui la composent. Et si, trente ans plus tard, la position de l’ONU en tant qu’entité n’a pas bougé, la nouvelle conjoncture géopolitique et mondiale a fait évoluer celle de ses membres en faveur du Maroc et de sa proposition de plan d’autonomie formulée en 2007.

Un nœud gordien qui explique à la fois l’immobilisme de l’ONU dans le conflit et les diatribes répétées du Polisario à son encontre. Les dirigeants de la formation séparatiste accusent notamment les Nations unies de se dérober à leurs responsabilités en ne faisant pas respecter les différentes résolutions.

Quant à savoir où se situe l’envoyé personnel de l’ONU sur toutes ces problématiques, le mystère reste entier. Fidèle à sa nature, le diplomate se montre résilient et cultive sa marque de fabrique, un mélange de discrétion et d’affabilité lorsqu’il apparaît en public. Un savoir-faire directement lié à la nature de sa mission, à laquelle s’ajoutent des décennies d’expérience dans les négociations diplomatiques de haut niveau, qui rendent ses véritables intentions très peu lisibles.

En 2018, les blocages continus sur le dossier syrien avaient fini par avoir raison du diplomate et de son optimisme chronique. Ce n’est, semble-t-il, pas encore le cas en ce qui concerne sa nouvelle mission. Jusqu’à quand ?