Après deux coups d’État en 9 mois, l’instabilité politique au Burkina Faso se trouve à un nouveau tournant, entrainant une plus grande incertitude alors que le pays fait face à une escalade de la menace de l’islamisme militant.
Le 30 septembre, le Burkina Faso a subi son deuxième coup d’État de l’année, quand le capitaine Ibrahim Traoré, le chef de 34-ans d’une unité d’artillerie de l’armée du Burkina Faso, s’est autoproclamé chef de l’État. Après avoir renversé le chef de l’ancienne junte, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, Traoré a justifié sa prise de pouvoir en citant la détérioration de la sécurité au Burkina Faso. Damiba lui-même avait conduit un putsch en janvier 2022, s’en justifiant lui aussi en disant qu’il résoudrait la crise sécuritaire à laquelle le pays fait face.
Traoré avait participé au putsch de janvier et a été assisté dans le sien par plusieurs membres de la junte de Damiba. En revanche, plusieurs autres membres de la junte sont restés fidèles à Damiba. Pendant ce temps, la plupart des officiers Burkinabè n’ont participé dans aucun de ces coups de force, reflétant la nature fragmentée des forces armées Burkinabè et la manière aléatoire dont le pouvoir a, par deux fois, changé de mains.
Qu’est ce qui a changé ?
Traoré a renvoyé le gouvernement et l’assemblée de transition de Damiba et suspendu la constitution. Ce faisant il s’est arrogé, avec sa junte, les pleins pouvoirs.
Traoré a appelé les secrétaires généraux des ministères à maintenir, jusqu’à nouvel ordre, leurs opérations régulières.
Traoré a aussi rencontré les chefs militaires pour une séance photo visant à démontrer leur soutien pour le leadership du nouveau chef de la junte.
Cultiver l’apparence de la légitimité
La junte de Traoré a rapidement organisé des assises nationales de deux jours, tenues les 14 et 15 octobre. Avec la junte aux commandes, c’est sans surprise que Traoré a été nomme président de la transition et que la junte a conservé une autorité importante dans la charte qui gouverne la transition.
Cette nouvelle charte, largement conforme à celle adoptée sous Damiba, se soumet aussi aux conditions de la CEDEAO puisque le président de la transition ne peut pas être candidat et que des élections se tiendront d’ici le 2 juillet 2024.
La charte précise aussi la taille et la forme des autorités de la transition, mettant en relief une configuration décidemment favorable à la junte :
Un gouvernement de transition dirige par un premier ministre et ne comprenant pas plus de 25 ministres.
Traoré a nommé Appolinaire Joachim Kyelem de Tambela, un juriste, professeur et chroniqueur de la chaine privée BF1 TV comme premier ministre.
Traoré a ensuite nommé un gouvernement de 23 membres qui comprend trois officiers militaires et cinq personnes qui ont servi dans le gouvernement de Damiba.
Une assemblée de 71 membres pour rédiger des lois électorales et d’autres lois pendant la période de transition. Celle-ci est composée de :
20 membres choisis par Traoré
16 membres issus des forces de défense et de sécurité
13 membres issus de la société civile et non affilies à une mouvance politique
12 membres issus des partis politiques (4 de l’ancienne majorité, 4 de l’ancienne opposition, 2 de l’opposition non-affiliée et 2 d’autres partis)
10 membres de la société civile
Délibérément, les 16 membres des forces de défense et de sécurité et les 20 membres choisis par Traoré forment une majorité d’un siège, avec 36 membres. Aucune révision de la charte n’est possible sans le soutien de Traoré et d’une majorité de deux-tiers de l’assemblée de transition. Étant donné la sur-représentation des militaires, trouver 47 votes pour atteindre une majorité des deux-tiers ne devrait pas être trop difficile. Jusqu’à la nomination des membres de l’assemblée de transition et l’ouverture de la session législative, Traoré légifère par décret.
Appels à un retour au pouvoir des civils
« Le rôle de l’armée dans une démocratie est d’assurer la défense du territoire, la protection des institutions et une soumission sans condition à l’autorité politique civile légitime ».
Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), un think tank respecté de Ouagadougou, a réuni des leaders d’opinion burkinabés afin de trouver une autre voie vers l’avant. Ils ont appelé à une transition dirigée par des civils en avisant que :
« La suprématie de la constitution sur toute autre disposition juridique, quelles que soient les circonstances exceptionnelles », y compris un coup d’État.
« Le rôle de l’armée dans une démocratie est d’assurer la défense du territoire, la protection des institutions et une soumission sans condition à l’autorité politique civile légitime ».
Au lieu que Traoré devienne président de la transition, les citoyens devraient insister que les militaires rentrent dans leurs casernes.
Implications pour la voie à suivre
Depuis sa prise du pouvoir, les actions de Traoré ont révélé qu’il avait peu prévu en matière de stratégie au-delà de son installation comme chef de l’État et de pérenniser le pouvoir militaire. Cela se produit dans un pays qui émerge de 27 ans de dictature d’abord militaire puis autoritaire de Blaise Compaoré, qui avait finalement été chassé du pouvoir en 2014.
Traoré a justifié son putsch en disant qu’il rétablirait la sécurité et renverserait la vague du conflit. Mais les effets du putsch ont été que des précieuses ressources, attention et personnels ont été en fait divertis des lignes de fronts et des crises humanitaires auxquelles le pays fait face. Cela comprend plus de 1 500 évènements violents et 3 800 décès projetés pour 2022. Cette violence a déplacé de force environ 2 millions de personnes sur une population de 22 millions Les évènements violents devraient augmenter de 35 % cette année, depuis que le premier putsch s’est produit.
Après le putsch, les opérations militaires en cours ont été suspendues dans certaines des zones les plus affectées, y compris dans le centre-nord, les trois frontières, l’est et l’ouest.
Si la junte s’est efforcée de caractériser sa prise de pouvoir de populaire et a utilisé les assises nationales pour se donner l’apparence de soutien, elle gouverne en fait par décret. Au lieu de représenter la population, les membres du gouvernement de transition ne servent en fait que Traoré et la junte. En l’absence d’un cadre constitutionnel, de surveillance de l’armée et d’une orientation stratégique pour répondre aux menaces sécuritaires du pays, l’instabilité devrait perdurer au Burkina Faso.