Des récits poignants font état de l’exécution présumée d’environ 300 personnes par des troupes maliennes et des mercenaires russes présumés dans le centre du Mali. Les autorités maliennes ont ouvert une enquête.
Des habitants ont déclaré à Human Rights Watch (HRW) que les meurtres ont eu lieu lors d’une opération contre des militants islamistes pendant quatre jours fin mars.
Les hommes détenus ont reçu l’ordre de marcher par groupes de dix au maximum, avant d’être sommairement exécutés, selon HRW.
“Je vivais dans la terreur, chaque minute, chaque seconde en pensant que ce serait mon tour d’être emmené et exécuté. Même après qu’on m’ait dit de partir, je craignais que ce soit un piège”, aurait déclaré un homme qui a assisté à certaines exécutions.
“Alors que je m’éloignais, lentement, je tenais ma main sur ma poitrine, retenant ma respiration, et attendant qu’une balle me traverse le corps”, a-t-il ajouté.
Que disent les autorités maliennes ?
La justice militaire malienne déclare avoir ouvert une enquête sur les événements de Moura. Le procureur se rendra “très prochainement” sur place avec des enquêteurs et un médecin légiste, rapporte l’Agence France Presse citant le communiqué officiel rendu public mercredi.
L’annonce de l’enquête est intervenue un jour après que l’armée malienne avait rejeté ces accusations, affirmant que ses éléments ont mené cette opération avec professionnalisme.
L’armée malienne avait déclaré samedi avoir tué plus de 200 militants lors d’un assaut “à grande échelle” contre le “fief terroriste” de Moura.
La junte de la nation ouest-africaine nie que des mercenaires du groupe russe Wagner l’aident à combattre les insurgés.
Demande d’une enquête indépendante
Mardi, l’Allemagne s’est jointe aux États-Unis, à la France et à l’Union européenne pour demander une enquête indépendante, impliquant la mission de l’ONU dans le pays, sur ce qui s’est passé dans le village de Moura, situé dans la région centrale de Mopti au Mali.
Dans sa déclaration, HRW a affirmé qu’il y avait eu un “massacre délibéré” des personnes détenues.
“Le gouvernement malien est responsable de cette atrocité, la pire au Mali depuis une décennie, qu’elle soit le fait des forces maliennes ou de soldats étrangers associés.”
HRW a décrit Moura comme étant sous le “quasi-contrôle” d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
L’organisation cite un habitant de la région qui affirme que certaines des personnes tuées “étaient réellement des djihadistes, mais que beaucoup d’autres ont été tuées simplement parce qu’elles avaient été forcées par ces mêmes djihadistes à couper leur pantalon et à se laisser pousser la barbe”.
D’autres ont affirmé que les meurtres avaient un fondement ethnique, les Peuls, des éleveurs semi-nomades majoritairement musulmans connus au Mali sous le nom de Peulh, étant visés.
Que s’est-il passé ?
HRW dit avoir appris de 19 témoins, dont ceux de Moura et de six autres villages, que des soldats sont arrivés par hélicoptère près du marché aux bestiaux le 27 mars et ont échangé des coups de feu pendant environ 15 minutes avec une trentaine de combattants islamistes.
“Les commerçants du marché et des sources de sécurité ont déclaré que plusieurs combattants islamistes, quelques civils et deux soldats étrangers ont été tués au cours de cet échange de coups de feu et d’un autre échange de coups de feu ce jour-là”, rapporte HRW.
Des soldats maliens et plus de 100 membres d’une force étrangère – identifiés par plusieurs sources comme étant des Russes – ont ensuite été déployés à Moura pour une opération qui a duré quatre jours.
“Après avoir encerclé la zone, les soldats ont patrouillé dans la ville, exécutant plusieurs hommes alors qu’ils tentaient de fuir, et détenant des centaines d’hommes non armés sur le marché et dans leurs maisons”, a déclaré HRW.
“Au cours des quatre jours, les soldats ont ordonné aux hommes détenus, par groupes de quatre, six ou jusqu’à dix, de se lever et de marcher sur une distance comprise entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de mètres. Sur place, les soldats maliens et étrangers les ont exécutés sommairement.”
Le Mali est aux prises avec une insurrection qui dure depuis dix ans et qui a touché des millions de personnes, et a également englouti des pays de la région.
Les troupes françaises ont joué un rôle majeur dans la lutte contre les insurgés, mais en février, le président Emmanuel Macron a annoncé leur retrait.
Cette décision fait suite à une rupture des relations avec la junte militaire, accusée de se tourner de plus en plus vers la Russie pour obtenir de l’aide dans la lutte contre les militants.
Le Mali est une ancienne colonie française et a maintenu des liens étroits avec la France après son indépendance en 1960.