Le M5-RFP, qui avait mené la contestation contre le régime du président déchu IBK, avant le Coup d’État, dénonce la militarisation de la transition et refuse de participer au CNT. Selon Choguel Kokala Maïga, porte-parole du comité stratégique du M5-RFP, qui était est l’invité Afrique matin de David Baché, estime que ce qui se passe n’est autre que l’instauration d’un régime militaire déguisé. Le responsable du M5 est convaincu que ce n’est pas le rôle des militaires que de remplacer les politiques pour diriger.
Nous vous proposons l’intégralité de son interview !
RFI : Le Conseil national de transition a été installé samedi. Le Colonel Malick Diaw en a très largement été élu président, avec le soutien de membres du M5-RFP. Aujourd’hui, quelle est la position officielle du M5-RFP par rapport à ce Conseil ?
Chogel Maïga : Ce Conseil a été installé dans l’illégalité totale, en violant la charte de la transition, en violant les décrets qui instituent composition et clefs de répartition du Conseil national de transition… qui étaient d’ailleurs en son temps contestés par le M5, mais on passe sur ça… Même ces textes ont été violés ! Parce que c’est dit clairement que ce sont les entités qui désignent leurs représentants. Il n’est pas prévu de représentation individuelle. Or ce qui s’est passé c’est que les entités n’ont pas envoyé de noms ; les militaires ont appelé les personnes une à une, on ne sait pas ce qui s’est passé entre eux, est-ce qu’ils les ont convaincus, est-ce qui les ont menacés ? Dans ces conditions, on ne peut pas parler de large victoire ! Lorsque vous choisissez vous-même des gens, sur des bases illégitimes, illégales, pour les mettre dans une salle, mais qu’est-ce qu’ils vont faire, sinon voter pour vous ?
RFI : Et quelle est la position du M5 vis-à-vis de ceux de ses membres qui ont décidé, malgré cela, de siéger au CNT ?
Chogel Maïga : Le M5 va rendre public dans les jours à venir un document intitulé « Notre vision de la transition. » À cette occasion, toutes ces questions vont être traitées et exposées. Mais je précise seulement que le M5 n’a pas désigné de personne, et les personnes qui ont été désignées soi-disant au nom du M5, n’ont pas envoyé de dossiers. Leur nom s’est retrouvé sur cette liste-là sans leur accord.
RFI : Mais certains ont quand même décidé de siéger au CNT, est-ce qu’ils seront exclus du M5 ?
Chogel Maïga : Ça, c’est un autre débat. Nous allons discuter avec eux et nous déciderons de la conduite à tenir.
RFI : Ce n’est pas un peu difficile à comprendre, pour vos concitoyens, que le M5 ne participe pas au Conseil alors que plusieurs de ses membres y siègent ?
Chogel Maïga : Ce que les populations ne comprennent pas, surtout, c’est la façon qu’ont les militaires d’accaparer tous les leviers du pouvoir ; ce que la population ne comprend pas, c’est le fait que des gens qui ont manifesté publiquement contre le changement se trouvent aujourd’hui presque majoritairement dans le CNT. Donc, le peuple a tout compris ! Les décisions individuelles ne peuvent pas engager une collectivité ! Chez vous en France, lorsque Macron a pris le pouvoir, il a pris des gens de la droite pour faire d’eux des ministres. Est-ce que, un jour seulement, on a accusé la droite d’avoir des gens autour de Macron pour être ministres ?
RFI : Oui, mais ceux-là ont quitté leur ancien parti pour rallier celui d’Emmanuel Macron. Est-ce que ceux qui siègent au CNT ne devraient pas quitter le M5 ?
Chogel Maïga : Nous ne demanderons rien, c’est une décision personnelle.
RFI : Vous avez évoqué la possibilité d’attaquer en justice la régularité de la procédure de désignation des membres du Conseil national de transition. Est-ce que c’est une idée en l’air ou est-ce que vous avez déjà entrepris les démarches ?
Chogel Maïga : Les documents dits légaux qui fondent cette transition, c’est la charte et les différents décrets qu’ils ont pris. Le tout a été violé allègrement, des personnes ont été individuellement appelées à Kati, dans le camp militaire ou dans le bureau du Vice-président, et ils ont été nommés. Le bon sens voudrait qu’on l’attaque ! Maintenant, on a fait une déclaration qui a annoncé nos intentions, nous aurons des réunions de concertation pour définir de façon globale notre stratégie pour imposer les changements pour lesquels les Maliens se sont battus.
RFI : Ça peut aussi passer par de nouvelles manifestations dans les rues ?
Chogel Maïga : Je ne saurais le dire aujourd’hui sans une décision collective.
RFI : Mais est-ce que vous avez encore la même capacité de mobilisation qu’avant le Coup d’État ?
Chogel Maïga : Le temps nous le montrera. Avant les premières mobilisations, la presse nous a posé la même question et moi je pense que les Maliens sont dans de bonnes dispositions. Je suis certain que les Maliens trouveront la forme appropriée pour exprimer leur mécontentement. Il faut aller au-delà, aller vers toutes les forces vives qui ne sont pas d’accord avec la confiscation du processus du changement, qui ne sont pas d’accord avec le hold-up qui est exercé aujourd’hui sur les institutions de la transition.
RFI : Justement, on voit que ces acteurs se rallient en partie à la transition. Est-ce que les militaires ne sont pas, quand même, en train de réussir leur pari politique et de rallier une bonne partie de la base du M5 ?
Chogel Maïga : Vous savez, dans une lutte politique, on ne va jamais jusqu’au bout tous ensemble. Et puis de toute façon, ceux qui ont fait le choix d’aller dès ce stade avec les militaires, c’est un choix que je respecte. Je pense qu’ils sont dans l’erreur, mais c’est à eux d’assumer leur choix. C’est là que je suis convaincu que les Maliens comprennent très bien que ce qui est en train de se passer n’est pas ce pourquoi ils se sont mobilisés.
RFI : Vous dénoncez la militarisation de la transition et de l’administration malienne, qu’est-ce que vous craignez ?
Chogel Maïga : C’est l’instauration d’un régime militaire déguisé. Parce que ce n’est pas le rôle des militaires que de remplacer les politiques pour diriger. Il peut y avoir quelques militaires dans la gestion de l’État, mais la militarisation à outrance ne sert ni l’armée ni la société. Regardez par exemple la nomination des militaires (aux postes de gouverneurs, ndlr) : l’argument qu’ils ont avancé c’est la question sécuritaire, mais si c’était ça pourquoi on ne nomme pas un militaire à Ménaka ? Pourquoi pas un militaire à Kidal (c’est bien un militaire pour la région de Kidal, mais pas à Douentza ou Bandiagara, ndlr) ? Pourquoi un militaire à Bougouni où il n’y a aucun problème ? Donc, ça ne peut pas marcher ! On peut tricher avec tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tous les Maliens tout le temps. Ça va s’arrêter un jour ou l’autre.