Risque de glissement du calendrier électoral, potentielles alliances, hypothétique dialogue… De passage à Paris, l’opposant, qui retentera sa chance lors des prochaines élections, s’est confié à Jeune Afrique. Rencontre avec un homme revanchard.
La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a beau ne pas avoir encore publié son calendrier, Martin Fayulu sait déjà à quoi s’en tenir. « Le 23 janvier 2024, à minuit, Félix Tshisekedi devra prendre ses cliques et ses claques et partir”, lance-t-il, déterminé, dans le salon d’un hôtel parisien. Après avoir passé quatre ans à revendiquer la victoire à la dernière élection présidentielle, Fayulu renfile ses habits de candidat.
Investi par son parti, l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECiDé) en juillet dernier, l’ancien porte-étendard de la plateforme d’opposition Lamuka est à Paris pour quelques jours. Une visite familiale puisque l’un de ses fils réside en région parisienne, mais surtout politique. Il vient notamment poursuivre la tournée médiatico-diplomatique de ces derniers mois aux États-Unis, au Canada et en Belgique. « J’ai vu des élus américains, je suis allé au Département d’État à Washington, au ministère des Affaires étrangères au Canada. J’ai également rencontré des députés canadiens », énumère-t-il, convaincu que ses « interlocuteurs regrettent aujourd’hui d’avoir pris acte de l’élection de Félix Tshisekedi ». « On le sent dans leur attitude, même s’ils ne le disent pas clairement avec des mots. »
« Les élections en décembre 2023, c’est un must »
Pas question pour autant, en cette fin d’octobre, de s’étendre sur le respect de la « vérité des urnes », qui a été son cheval de bataille ces dernières années. Non pas que la revendication ait disparu – il ne manque d’ailleurs jamais l’occasion de rappeler que les résultats compilés par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) le donnaient vainqueur. Mais l’actualité impose d’autres priorités.
Il y a d’un côté le conflit en cours entre la RDC et le Rwanda autour de la résurgence du M23 et les accusations répétées de Tshisekedi à l’encontre de son homologue Paul Kagame. « Aujourd’hui, il est tellement flagrant que la RDC est agressée par le Rwanda que Félix Tshisekedi n’a d’autre choix que de rejoindre notre position », tacle d’entrée Fayulu, qui affirme tenir le discours actuel du chef de l’État depuis « plus de dix ans ».
De l’autre, il y a la préparation de cette élection aux allures de revanche, prévue pour décembre 2023 mais sur laquelle plane le spectre d’un glissement du calendrier. « Les élections en décembre 2023 sont une obligation, un must », rétorque immédiatement cet ancien cadre de la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil.
Le mandat, c’est cinq ans. Pas cinq ans plus une seconde
Qu’importe le discours rassurant du gouvernement, dont le porte-parole, Patrick Muyaya, a encore réaffirmé que « l’organisation des élections [était] une question de conviction et pas une obligation ». Martin Fayulu n’y croit pas. « À un moment donné, on vous dira que l’on n’a pas pu, malgré toute notre bonne volonté, les tenir à temps, à cause de l’état de siège ou de la guerre avec Kagame… Ce sont des stratégies pour gagner du temps, estime-t-il. La Constitution fixe le mandat à cinq ans. Pas cinq ans plus une seconde, cinq ans. »
La Ceni s’est engagée à publier son calendrier en novembre et promet, malgré des alertes régulières sur des difficultés de financement, de mener les activités d’enrôlement dans un délai raccourci. Mais à un peu plus d’un an de la date butoir, la perspective d’un glissement est prise très au sérieux, tant au sein de la classe politique que par les chancelleries. Certains parient sur un report de six mois, d’autres de huit. Les plus pessimistes évoquent un délai qui pourrait dépasser un an. Et l’opposition est à l’affût du moindre faux pas.
« Beaucoup de gens sont responsables de la situation dans laquelle nous nous trouvons », affirme Fayulu. Déterminé à défendre son bilan d’opposant – lui préfère dire qu’il fait de la « résistance » –, il énumère ses différentes initiatives : « Le 8 février 2019, j’avais déjà fait une proposition concrète à l’Union africaine. Le 10 mai 2019, j’ai fait une autre proposition de sortie de crise en plaidant pour la mise en place d’un haut conseil de réformes institutionnelles. J’ai réitéré cette proposition le 4 novembre 2019. À chaque fois, personne ne m’a suivi. » « Martin Fayulu ne reconnaît pas les institutions, mais il faudrait qu’on écoute et que l’on soutienne chaque nouvelle proposition qu’il formule », assène l’un de ses anciens alliés qui a rallié la majorité.
« L’Église a cassé le bloc patriotique »
Mais Martin Fayulu ne cherche-t-il pas aussi à se positionner en fer de lance d’une opposition pour l’instant éparpillée ? Candidat surprise de Lamuka en 2018, il a longtemps ressassé la « trahison » de janvier 2019. Celle de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, qu’il accuse de l’avoir privé de « sa » victoire. Celle des diplomates qui ont pris acte d’un scrutin controversé ayant toutefois abouti à la première transition pacifique en RDC. Pendant près de quatre ans, il s’est donc attaché à rester au centre du jeu pour capitaliser sur ce statut « d’opposant numéro un ». Mais cela n’a pas été évident. Antipas Mbusa Nyamwisi et Freddy Matungulu ont quitté Lamuka dès 2019. Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont ensuite rejoint l’Union sacrée, fin 2020, après la rupture de l’alliance entre Tshisekedi et Joseph Kabila.
Fayulu, lui, a longtemps résumé ces bouleversements politiques à de simples « stratagèmes [de Félix Tshisekedi] pour se maintenir au pouvoir », préférant se démener sur le terrain des réformes électorales et de la Ceni. Fin octobre 2021, il s’est même investi au sein d’un « bloc patriotique » avec des représentants du Front commun pour le Congo (FCC, la coalition de Joseph Kabila). Une marche sera organisée le 13 novembre suivant. Mais la mobilisation finira par s’essouffler.
« Félix Tshisekedi a pris peur. Il a envoyé les présidents des deux chambres du Parlement, le Premier ministre et François Beya [alors conseiller en sécurité] chez le cardinal Ambongo avant de recevoir les évêques de la Cenco », se souvient l’opposant. « Je ne sais pas ce qu’il leur a dit mais Mgr Utembi [le président de la Cenco] est sorti de là en déclarant qu’il fallait aller de l’avant”, regrette Fayulu, qui accuse l’Église catholique d’avoir « cassé le bloc patriotique ».
Vive contestation
Si la mobilisation face à Denis Kadima a faibli au sein de l’opposition, la composition des bureaux respectifs de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, accusés de servir les intérêts du pouvoir, fait toujours l’objet d’une vive contestation, sans que cela ne débouche pour l’instant sur un quelconque dialogue. La perspective d’un glissement pourrait-elle pousser dans cette direction ? En cas d’empêchement du président, la Constitution prévoit que le président du Sénat – en l’occurrence Modeste Bahati Lukwebo – prenne en charge la gestion de la transition et l’organisation, dans les 90 jours, des élections.
« Nous, nous pensons que le président du Sénat ne doit pas gérer cette transition, car il appartient au camp du pouvoir. L’Union sacrée, le FCC, Lamuka et la société civile doivent se mettre à la même table pour s’entendre sur une personnalité de la société civile », explique Fayulu. Une perspective évidemment bien éloignée des positions du gouvernement, qui affirme ne pas envisager de report. « Nous ne faisons pas dans la politique-fiction. Les élections seront tenues dans les délais. Martin Fayulu peut donc dialoguer avec lui-même », balaie un ancien allié de l’opposition qui lui reproche de « s’isoler ».
S’il semble s’étonner lorsqu’on lui énumère la liste des candidats déjà investis ou sur le point de se déclarer, Martin Fayulu se dit en tout cas sûr de sa force. « Nous étions 21 en 2018 et 33 en 2006, rappelle-t-il. Dans le lot, il n’y avait quasiment que des candidats [qui ont enregistré] entre 0 % et 1 %. Aujourd’hui, nous sommes trois ou quatre à pouvoir peser. » Il évoque aussi des « manœuvres du pouvoir pour soutenir et pousser des candidats », sans toutefois préciser les noms de ceux qu’il vise. “N’est pas candidat qui veut. En 2011, vous pensez sérieusement que Vital Kamerhe pensait pouvoir être élu alors qu’Étienne Tshisekedi crevait le plafond ? »
« Encore une question d’ego »
Reste que la multiplication des candidatures dans une élection à un seul tour ne joue pas en faveur de l’opposition. En 2018, celle-ci avait réussi à s’asseoir à une même table à Genève. Difficile pour l’instant d’envisager un renouvellement de l’expérience. « Personnellement, je suis d’accord avec l’idée d’organiser un Genève bis. Lors du congrès qui m’a désigné candidat, nous avons pris trente résolutions, dont une qui autorise que l’on s’associe à quelqu’un qui regarde dans la même direction que soi », admet Fayulu. « Au final, comme à Genève, cela sera une question d’ego, estime un opposant congolais présent à l’époque. Qui acceptera à nouveau de se ranger derrière l’autre ? »
Les pistes d’alliances ne sont pas nombreuses. Ces derniers mois, Martin Fayulu a rencontré à deux reprises l’ancien Premier ministre de Joseph Kabila, Matata Ponyo Mapon, candidat sous l’étiquette de son nouveau parti, Leadership et Gouvernance pour le développement. Fayulu reconnaît qu’un rapprochement est possible. « Il m’a parlé de son appartenance à l’opposition. S’il voit dans Lamuka quelque chose qui peut lui correspondre, nous avons des structures au sein de la coalition pour trancher sur cette question », ajoute-t-il.
Quid de Denis Mukwege, Nobel de la Paix 2018 dont certains soutiens poussent en coulisses pour une candidature en 2023 ? « Évidemment qu’il entre dans la liste des candidats potentiels. Il fait des choses énormes pour ce pays », reconnaît Fayulu, qui entretient de bonnes relations avec le célèbre médecin mais n’envisage pas, pour le moment, de se ranger derrière quelqu’un d’autre. « Je ne peux pas décider à la place du peuple qui m’a désigné candidat, conclut-il. N’est-ce pas Félix Tshisekedi qui disait, en novembre 2018 à Genève, que le changement [s’appelait] Fayulu ? »