CRISE. « Il faut regarder la réalité en face. » Destiné à mobiliser le continent face aux défis actuels, le forum de Dakar s’ouvre sur un constat amer du président Macky Sall.
Depuis la crise de la pandémie de Covid-19, et surtout le choc de la guerre russe en Ukraine, le monde entier est confronté à la question de la souveraineté, cependant, l’Afrique est peut-être le continent où les débats sur cette question ont été le plus pressants, notamment en ce qui concerne la dépendance dans laquelle se trouve le continent africain vis-à-vis des questions alimentaires, sanitaires ou énergétiques. Mais la question de la souveraineté du continent se pose également au niveau politique et sécuritaire. Dans ce sillage, les organisateurs du Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique qui s’ouvre dans la capitale sénégalaise ce lundi 24 octobre ont décidé de placer au cœur de leurs échanges cette thématique dont les dirigeants se sont emparés avec force ces dernières années. L’édition 2022 du forum a pour thème « l’Afrique à l’épreuve des chocs exogènes : défis de stabilité et de souveraineté ».
Un tableau peu reluisant pour l’Afrique
Ainsi, en ouvrant la 8e édition du Forum de Dakar, le président de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall, a appelé à une réforme de la gouvernance mondiale dont il a déploré les « incohérences ». Le chef de l’État sénégalais a critiqué les insuffisances d’organisations comme le Conseil de sécurité de l’ONU ou le G20 en énumérant les sombres réalités auxquelles est confrontée l’Afrique : propagation djihadiste, conséquences des crises climatique et sanitaire et de la guerre en Ukraine, recrudescence des coups d’État. « Force est de constater que le tableau n’est pas reluisant » sur le continent, a-t-il reconnu à l’ouverture de cette conférence réunissant pendant deux jours au sud de Dakar des dirigeants et des experts internationaux.
Un appel pour trouver des solutions africaines…
« Le terrorisme qui gagne du terrain sur le continent n’est pas qu’une affaire africaine, c’est une menace globale », a-t-il déclaré en présence notamment de ses homologues angolais et cap-verdien, invités de cette édition mettant à l’honneur la lusophonie. « L’inertie du Conseil de sécurité dans la lutte contre le terrorisme en Afrique porte en elle la défaillance du système multilatéral », a-t-il dit. « Pour inspirer confiance et adhésion, le multilatéralisme doit servir les intérêts de tous », sous peine de « perdre la légitimité et l’autorité attachées à son autorité », a-t-il prévenu.
… face au terrorisme
« Face au terrorisme, les opérations classiques de paix des Nations unies ont montré leurs limites », a-t-il estimé. « Nous devons changer la doctrine des opérations de maintien de la paix qu’il convient de mettre à jour en intégrant pleinement la lutte contre le terrorisme, y compris en Afrique », a-t-il ajouté. Il a assuré qu’il ne s’agissait pas d’éluder « les manquements dont les solutions relèvent de notre responsabilité ». Il a notamment cité les « changements inconstitutionnels de gouvernement », référence à une succession de coups d’État et de faits accomplis qui ont secoué le continent en Guinée, au Burkina Faso, au Mali ou encore au Tchad. « Ces pratiques ne sont pas acceptables. Elles ne peuvent servir de remède à nos maux. Au contraire, elles les aggravent et nous retardent sur le chemin du développement », a-t-il dit.
Et aussi faire entendre la voix de l’Afrique sur la scène internationale
Le dirigeant sénégalais était également attendu sur la guerre en Ukraine. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a divisé les pays africains, ainsi que l’ont montré plusieurs votes aux Nations unies depuis février 2022. Près de la moitié d’entre eux se sont encore abstenus ou n’ont pas pris part au vote le 12 octobre quand l’Assemblée générale de l’ONU a condamné l’annexion par la Russie de territoires ukrainiens. Macky Sall a assuré ce lundi que l’Afrique n’était « pas contre l’Ukraine », pays « agressé », mais a expliqué le refus de nombreux pays africains de prendre parti dans la crise comme une réaction à l’indifférence internationale face aux agressions visant le continent.
« L’Afrique n’est pas contre l’Ukraine, il ne faut pas qu’on ait l’impression que les Africains sont insensibles à la situation de l’Ukraine. Ce n’est pas ça du tout », a-t-il poursuivi, mais les Africains disent qu’au même moment où l’Ukraine est en guerre, est envahie, est agressée, l’Afrique est permanemment agressée par le terrorisme », a-t-il dit. « Nous sommes en 2022, nous ne sommes plus pendant l’ère coloniale. Nous sommes en 2022, donc les pays, même s’ils sont pauvres, sont d’égale dignité. Il faut qu’on traite leurs problèmes avec le même respect », a-t-il renchéri.
L’emploi du mot « agressé » pour l’Ukraine est significatif de la part du président de l’Union africaine. Le Sénégal, aux relations fortes avec les pays occidentaux, avait surpris le 2 mars en s’abstenant lors d’un vote de l’Assemblée générale en faveur d’une résolution qui exigeait « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ».
Le Sénégal avait en revanche voté le 24 mars une seconde résolution exigeant de la Russie un arrêt immédiat de la guerre. Il a aussi voté le 12 octobre pour la condamnation de l’annexion. Macky Sall a plaidé pour l’ouverture de négociations entre les protagonistes de la crise ukrainienne. « Nous devons être capables d’arrêter cette guerre qui est en train de détruire le monde », a-t-il dit.
Peu auparavant, la secrétaire d’État française Chrysoula Zacharopoulou avait plaidé pour la « solidarité » du continent avec les Européens face à l’offensive russe. Celle-ci représente une « menace existentielle pour la stabilité et l’intégrité de notre continent », a dit la secrétaire d’État française auprès du ministère des Affaires étrangères.
« Tous les Européens le vivent ainsi. C’est pourquoi nous exprimons une attente de solidarité à l’égard de l’Afrique », a-t-elle dit. Face aux critiques qui trouvent un large écho en Afrique contre une propension de la France ou de pays occidentaux à vouloir dicter leur loi à leurs partenaires africains, la responsable française a assuré que la France, quand elle déploie des missions comme la force antidjihadiste sahélienne Barkhane, n’intervenait pas « en substitution » aux armées nationales, mais « en appui ».