La situation sécuritaire, dossier prioritaire pour les autorités, s’est-elle améliorée depuis le coup d’Etat ?
Sur le terrain, la situation n’est guère meilleure depuis le coup d’Etat 24 janvier. Les violences jihadistes, qu’il s’agisse d’attaques contre les civils et les forces armées ou de destruction d’infrastructures, se poursuivent à un rythme quotidien. Contrairement à ce qu’a affirmé le président du Burkina Faso, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui estime que les militants « maintiennent l’illusion qu’ils gagnent du terrain », ces derniers ont bel et bien continué leur expansion territoriale depuis le début de l’année. Des zones jusqu’alors épargnées par l’insécurité sont aujourd’hui exposées à une forte pression des deux principaux groupes armés actifs dans le pays, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) et l’Etat islamique au Sahel (EI-Sahel). Leurs actions touchent désormais dix des treize régions du Burkina.
Si les régions du Centre, du Centre-Ouest et du Centre-Sud demeurent pour le moment relativement épargnées, les groupes armés grignotent du terrain dans le reste du pays. Dans le Nord, le JNIM contrôle une grande partie des provinces du Loroum et du Yatenga et avance désormais, vers l’est et le sud de Ouahigouya (chef-lieu du Yatenga), en direction de la capitale Ouagadougou. Dans la Boucle du Mouhoun, le groupe a progressé dans les provinces du Mouhoun, du Banwa et plus récemment du Nayala. Les villes de Nouna, Dédougou et Solenzo y sont désormais quasiment encerclées. Le JNIM gagne aussi du terrain au sud de la Boucle du Mouhoun, dans la région des Hauts-Bassins, où il progresse vers Bobo Dioulasso, la seconde ville du pays. La situation s’est également détériorée ces derniers mois au Centre-Nord et au Centre-Est, et aucune amélioration n’est à signaler dans l’Est et les Cascades.
” [Le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans] cherche à perturber, voire à empêcher, l’approvisionnement sur les axes principaux menant à Ouagadougou. “
Depuis quelques mois, le JNIM cherche à perturber, voire à empêcher, l’approvisionnement sur les axes principaux menant à Ouagadougou. Certains produits comme le poisson, qui provient en grande partie de l’Est, et les denrées alimentaires importées de Côte d’Ivoire commencent à s’y raréfier. Si elle avait débuté avant le 24 janvier, cette stratégie d’isolement de la capitale, qui abrite plus de deux millions de personnes, s’est amplifiée depuis. Le JNIM, mais aussi l’EI-Sahel, ont en effet récemment saboté une série de ponts dans plusieurs régions, principalement au Sahel et à l’Est.
Les groupes jihadistes œuvrent également à imposer des blocus aux villes secondaires du pays. Dori, un important carrefour commercial du nord désormais difficilement accessible par la route, est ainsi privée de certains produits de première nécessité. Elle connait très souvent des ruptures d’approvisionnement en carburant, en électricité ou en eau au gré des attaques conduites contre les entreprises publiques qui assurent ces services. C’est dans cette ville que le président Damiba a prononcé son discours, afin de montrer que l’Etat n’abandonne pas ce morceau de territoire aux groupes armés. L’encerclement dont Dori fait l’objet pourrait à terme s’étendre à Ouahigouya, la principale ville du Nord, ou à Fada N’Gourma, dans l’Est, autour de laquelle les groupes jihadistes raffermissent progressivement leur emprise.
Comment expliquer ce manque d’amélioration ?
Il ne s’agit pas d’une surprise : il n’existe pas de solution miracle qui aurait permis au Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), actuellement au pouvoir, de faire en cinq mois ce que l’ancien régime n’a pas réussi à faire en cinq ans. Comme l’a rappelé le président Damiba dans son allocution, le MPSR a hérité d’une situation militaire extrêmement dégradée. Le pouvoir de transition burkinabè doit en effet « remobiliser » une armée divisée, que les embuscades et les engins explosifs improvisés des jihadistes confinaient à ses casernes. Plus largement, dans certains pays voisins du Burkina, des milliers de soldats membres de forces internationales et régionales et une décennie d’intervention n’ont pas réussi à rétablir la sécurité.
L’état général des forces armées s’est manifestement amélioré depuis l’arrivée au pouvoir du MPSR. Les autorités ont mis en place le Commandement des opérations du théâtre national, destiné à renforcer la coordination en matière de lutte anti-terroriste. Certains résultats sont déjà palpables sur le terrain, malgré les tensions qui persistent entre différents segments des forces de sécurité. Le limogeage, le 12 septembre, du ministre de la Défense Aimé Barthélémy Simpore et son remplacement par le président Damiba, qui cumule désormais les deux fonctions. Cela dit, l’armée est devenue plus mobile et intervient davantage. Les autorités ont également instauré des zones d’intérêt militaires, où la présence humaine est interdite, dans les secteurs frontaliers du Sahel et de l’Est afin d’y empêcher la circulation des jihadistes. La fin de la saison des pluies dans les prochains mois pourrait y permettre la conduite d’opérations d’envergure. Celles-ci risquent toutefois de s’accompagner de pertes civiles importantes parmi les populations qui n’ont pas quitté ces zones. Si la fourniture de nouveaux matériels, promise dès la prise de pouvoir du MPSR, a tardé, le régime a pu faire l’acquisition, début septembre, de trois hélicoptères de combat et de drones.
Certains obstacles structurels n’ont cependant pas pu être levés. Ainsi, les moyens humains restent insuffisants pour faire face à la multiplication des fronts. A mesure que les groupes armés étendent leur influence, il faut plus de personnel pour contrer leur avancée. Or l’armée burkinabè, outre les divisions qui la traversent, a des effectifs limités – entre 15 000 et 20 000 soldats, selon les sources, auxquels s’ajoutent 8 000 gendarmes. Les efforts actuels sont réels, mais ils ne suffiront pas à reconquérir l’ensemble des territoires perdus depuis l’apparition des insurrections jihadistes fin 2015.
” Les résultats mitigés du nouveau pouvoir en matière de sécurité sont aussi le fait d’un affaiblissement continu des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). “
Les résultats mitigés du nouveau pouvoir en matière de sécurité sont aussi le fait d’un affaiblissement continu des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP)[, un corps de civils armés créé en janvier 2020 pour épauler les forces de défense et de sécurité. Rapidement propulsés en première ligne des combats, les VDP ont perdu de nombreux éléments face aux jihadistes, si bien que beaucoup d’entre eux préfèrent aujourd’hui rendre les armes ou négocier avec les militants, en particulier dans les régions du Nord et de l’Est. Dans certains de leurs bastions, parmi lesquels le Centre-Nord, les VDP ont cependant commencé à se remobiliser, en grande partie parce que l’armée elle-même se remobilise à leurs côtés.
La remobilisation des VDP s’est malheureusement accompagnée d’une augmentation des exécutions de civils et autres abus vis-à-vis des populations locales, principalement peules. Les Peuls, constitués en majorité d’agro-pasteurs, constituent le second groupe ethnique du pays. Ils ont été presque systématiquement exclus des VDP, qui sont accaparés par les communautés sédentaires – surtout les Mossis, premier groupe ethnique du pays, et les Fulsés, avec lesquels les Peuls sont souvent en rivalité pour le contrôle des ressources. Le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), créé au lendemain du massacre de Yirgou de janvier 2019 pour condamner les violences subies par les Peuls en particulier, a notamment dénoncé le massacre d’une quarantaine de civils à Tougouri début août. D’autres cas sont survenus depuis dans les régions du Centre-Nord (province du Bam), du Centre-Est et de l’Est mais ont été passés sous silence. Les discours de haine contre la communauté peule, qui se banalisent sur les réseaux sociaux, contribuent à nourrir ce genre de brutalités.
Les exécutions de civils par l’armée et les VDP touchent principalement les Peuls mais s’étendent de plus en plus à d’autres communautés et aggravent considérablement la situation sécuritaire. Les civils visés sont souvent soupçonnés de commercer avec les jihadistes. Leur élimination vise à compliquer l’approvisionnement de ces groupes mais suscite beaucoup de ressentiment au sein des communautés locales, contribue à alimenter le recrutement par les jihadistes et met à mal les efforts de dialogue du gouvernement. Lors de son discours, le président Damiba a implicitement reconnu que les VDP avaient endommagé la cohésion sociale en s’attaquant aux civils, affirmant que « certaines actions des nôtres ont malheureusement plus contribué à attiser le feu, plutôt qu’à l’éteindre ». Sur ce point, peu de choses ont changé depuis la mise en place du nouveau pouvoir en janvier.
Tout en renforçant ses capacités militaires, le MPSR a poursuivi les efforts de dialogue initiés par le régime précédent. Il a notamment officialisé la mise en place de Comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix, visant à affaiblir les jihadistes. Que les nouvelles autorités reconnaissent la nécessité d’un dialogue avec les groupes armés, dont les membres sont en grande majorité des citoyens burkinabè, offre de nouvelles perspectives pour la paix. Mais si les premiers résultats de ces actions sont certes « prometteurs », comme les a qualifiés le chef de l’Etat, ils demeurent pour le moment en déphasage avec l’ampleur du problème. Parmi les plusieurs milliers de combattants dans le pays, seuls quelques « dizaines » de jihadistes ont déposé les armes pour bénéficier d’un programme de « déradicalisation » dans des camps créés à cet effet.
En plus de chercher à faire déposer les armes aux combattants les moins gradés des groupes armés, ces comités locaux de dialogue cherchent à conclure des trêves locales entre les communautés, le JNIM et les VDP. Ces processus ne sont pas toujours le fruit d’une approche cohérente de l’ensemble des autorités qui peuvent, par leurs actions, les rendre caducs. C’est, par exemple, ce qui s’est produit à Djibo le 22 avril, lorsque les exactions perpétrées contre des civils par le détachement militaire de la ville et des VDP ont rompu le dialogue conduisant à la levée du blocus sur la ville.
L’augmentation du nombre de personnes déplacées menace-t-elle la cohésion sociale du pays ?
L’insécurité pousse un nombre croissant de personnes à quitter leurs foyers. De décembre 2021 à avril 2022, date du dernier recensement du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation, l’organisme chargé du recensement et de la prise en charge des déplacés internes (PDI), le pays en a enregistré 388 000 nouveaux. Ce chiffre a continué d’augmenter depuis avril et les déplacements de population touchent désormais de nouvelles zones, suivant l’expansion des groupes jihadistes vers le sud du pays. Si la présence renforcée de l’armée a permis aux déplacés de se réinstaller dans certaines zones – notamment à Seytenga, une commune dans la région du Sahel – la tendance globale à l’échelle du pays reste négative.
Un million et demi à deux millions de personnes (les sources divergent), soit plus ou moins 10 pour cent de la population, sont aujourd’hui déplacées. Pour le moment, leur présence ne pose pas de défi majeur à la cohésion sociale. Les Burkinabè ont fait preuve d’un immense élan de solidarité à l’égard de ceux qui ont fui, par exemple en les logeant dans des familles d’accueil. Les administrations et associations locales restent également très engagées dans l’aide qu’elles leur apportent. Par ailleurs, de nombreux déplacés sont restés relativement proches de leur localité d’origine, facilitant leur intégration dans un tissu social local qu’ils connaissent. Peu d’affrontements ont jusqu’à présent été signalés entre déplacés internes et population d’accueil, même si des tensions ont été enregistrées dans quelques localités.
La capacité d’absorption des communautés locales pourrait cependant être remise en cause si le nombre des déplacés venaient encore à augmenter, ce qui est malheureusement probable. Dans un contexte de forte pression foncière, certaines autorités locales peinent désormais à trouver des terrains disponibles pour y établir les sites d’accueil temporaire où sont logés la majorité des PDI. Leur nombre grandissant pèse sur l’accès aux ressources naturelles, notamment l’eau, et constitue plus largement un défi pour la capacité des familles ou des municipalités d’accueil, elles aussi touchées par la crise économique. Dans certaines localités devenues inaccessibles pour des raisons de sécurité, les déplacés souffrent de disette et en sont réduits à se nourrir de feuilles. Les agences onusiennes actives sur place n’ont pas suffisamment de moyens aériens pour acheminer de la nourriture à toutes ces personnes.
La perspective de tensions sociales et politiques pourrait-elle entraver la réponse sécuritaire des autorités ?
L’exécutif se retrouve face à une équation compliquée : il doit apporter une réponse sécuritaire de plus en plus coûteuse et, dans le même temps, amortir les effets de la grave crise économique qui touche la sous-région. Selon l’Institut national de la statistique et de la démographie, le taux d’inflation général au Burkina est passé de 7,2 pour cent en janvier 2022 à 17,8 pour cent en juin 2022. Il s’agit du taux d’inflation le plus élevé des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Les prix des produits de grande consommation ont connu la hausse la plus forte, rendant la vie de millions de Burkinabé très difficile. Selon l’Institut, « les produits alimentaires et les boissons non-alcoolisées », notamment les céréales, ont ainsi vu leurs prix augmenter de 29,8 pour cent entre août 2021 et août 2022.
Lors de son discours du 4 septembre, le président Damiba s’est pourtant gardé d’aborder le volet social et a été très évasif sur la question des déplacés. Pour le moment, le pouvoir de transition tire parti de la neutralité d’une grande partie de la population, qui exprime peu son mécontentement. Mais s’il n’arrive pas, dans les mois à venir, à apporter une réponse aux préoccupations matérielles des Burkinabè, il sera probablement rapidement confronté à une contestation sociale qui se traduira par des mouvements de protestation dans la rue.
” Dans l’état actuel des choses … aucune force politique ou sociale ne semble capable d’entrainer et de canaliser un mouvement de protestation unifié. “
Dans l’état actuel des choses, cependant, aucune force politique ou sociale ne semble capable d’entrainer et de canaliser un mouvement de protestation unifié, du type de ceux qui ont renversé trois présidences depuis l’indépendance du pays en 1960. La société civile, moteur des mouvement sociaux au Burkina Faso, est fortement fragmentée, avec un bourgeonnement de petites organisations dont la forte couverture médiatique doit plus à leur verbe outrancier qu’à une réelle capacité de mobilisation. On assiste en outre à une politisation de la société civile, inédite dans un pays où sa force résidait jusqu’alors dans son indépendance vis-à-vis des partis politiques ou, a minima, sa capacité de résistance à leurs tentatives d’entrisme.
La scène politique, qui a selon le président Damiba « des allures anarchiques », est quant à elle en complète recomposition. Les principaux partis politiques sont aujourd’hui marginalisés. Ecartés de la conduite de la transition, ils ne comptent que huit représentants sur les 71 qui composent l’Assemblée législative de transition. Suite à la dissolution de la chambre des députés et au remplacement des édiles par des délégations spéciales, ils n’ont plus de relais locaux élus, députés ou maires. Plusieurs figures de la vie institutionnelle ont ainsi quitté les grands partis pour créer leur propre formation, ajoutant à la fragmentation d’un paysage politique qui compte près de 200 partis. Ce nouveau paysage laisse entrevoir une élection présidentielle de fin de transition (prévue en août 2024, selon le calendrier des autorités en place) animée par des forces politiques divisées, affaiblies, à court de moyens et d’idées et peu en phase avec des électeurs qui avaient déjà boudé l’offre politique lors de la dernière présidentielle en 2020 – le taux de participation y avait été de 50 pour cent.
Outre une société civile divisée et un monde politique en restructuration, le régime de Damiba doit également composer avec l’armée, qui a historiquement été l’élément déterminant de tous les changements de régime au Burkina. L’unification d’une armée toujours divisée est une des priorités du MPSR. Elle sera nécessaire non seulement pour accomplir sa mission de « reconquête » du territoire, mais aussi pour la survie même des autorités durant les 23 mois qui doivent mener à l’organisation de la présidentielle.
Quelles mesures les autorités pourraient-elles mettre en place dans les mois à venir ?
Dans son discours, le président Damiba s’est montré lucide sur les principaux défis que les autorités doivent relever pour enrayer la spirale de violences et la propagation de l’insécurité. Il a dénoncé le caractère « contre-productif » des violences contre les civils, insisté sur la nécessité de promouvoir le dialogue, sur la responsabilité des élites corrompues et sur l’urgence de soutenir les populations les plus démunies, qu’elles soient déplacées ou non. En revanche, il n’a pas présenté de bilan chiffré, de mesures économiques précises ou d’idée directrice pour une réforme de la vie politique.
Depuis son accession au pouvoir, le MPSR reste opaque sur le programme qu’il compte mettre en place pour rompre avec les pratiques néfastes du passé et répondre aux attentes de populations fatiguées par l’insécurité et la précarité économique. Afin d’améliorer le quotidien de la population burkinabè, les autorités devraient clarifier leurs objectifs. En matière de sécurité, elles devraient veiller à la complémentarité des initiatives civiles et militaires en renforçant la coordination entre les autorités chargées de la cohésion sociale et celles responsables de la défense.
Au-delà de la nécessité de continuer et d’améliorer la réponse militaire afin de faire face à l’insécurité croissante dans le pays, les autorités devraient veiller par leurs actions à ne pas compromettre la cohésion sociale et la réconciliation nationale. Tout particulièrement, l’effort de mobilisation devrait s’accompagner d’un renforcement du soutien apporté aux approches locales de dialogue promues par les comités locaux récemment mis en place. Ces approches plurielles permettraient d’endiguer les tensions sociales et la montée des discours haineux qui débouchent souvent sur des abus vis-à-vis des populations peules et exposent certaines localités à des attaques jihadistes. Les autorités devraient également accompagner (par des projets de réinsertion socioéconomique) la démobilisation des VDP lorsqu’elle est réclamée par les communautés locales. Enfin, plutôt que de se limiter à condamner les exécutions sommaires, les autorités devraient sanctionner leurs auteurs afin d’enrayer une spirale dangereuse favorisant le recrutement jihadiste.
” D’un point de vue économique … le président Damiba et son gouvernement devraient annoncer très rapidement des mesures concrètes et détaillées de soutien aux ménages. “
D’un point de vue économique et afin de limiter la fronde sociale dans un pays qui a un besoin vital d’unité et de cohésion, le président Damiba et son gouvernement devraient annoncer très rapidement des mesures concrètes et détaillées de soutien aux ménages et d’action sur les prix de produits ciblés. Ces derniers devraient inclure les céréales, base de l’alimentation de millions de Burkinabé. Le gouvernement devrait en outre accompagner les producteurs céréaliers, comme il le fait déjà pour les cotonniers. La poursuite de la concertation avec les organisations professionnelles et de consommateurs est également nécessaire afin de les associer à la fixation des prix des produits alimentaires de grande consommation – à l’image de celle menée en juin dernier avec les boulangers, qui avait permis de maintenir le pain à un tarif abordable. Ces mesures doivent demeurer une réponse à l’urgence de la situation, et donc temporaires, afin de ne pas alourdir la dette du pays qui a considérablement augmenté depuis 2015.
Une stabilisation des prix sera sans doute insuffisante pour venir en aide à une grande partie des personnes déplacées, dont certaines vivent dans des zones où elles dépendent du ravitaillement humanitaire pour se nourrir. Les agences et organisations humanitaires devraient se préparer à gérer une situation encore plus difficile que celle qui prévaut actuellement. Elles devraient pour ce faire augmenter leurs capacités aériennes afin d’accéder à des populations qui risquent d’être de plus en plus coupées du monde à mesure que les groupes armés déploient leur stratégie d’isolement.
Dans la perspective de la fin de la transition négociée en juillet avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la marginalisation actuelle des grands partis politiques risque d’accentuer la crise de la représentation dont souffre déjà le Burkina. Ces partis animent et structurent la vie institutionnelle du pays. Il serait difficile de tenir une élection digne de ce nom en leur absence ou avec des partis vidés de leurs moyens et de leur force de proposition. Ces grands partis devraient rendre plus explicite la place qu’ils souhaitent tenir dans la conduite de la transition, en établissant et en rendant public une liste de propositions concrètes à ce sujet. Les autorités de transition devraient quant à elles abandonner leurs a priori négatifs les concernant et leur laisser un espace dans la conduite d’une transition qui concerne l’ensemble des Burkinabè. Enfin, autorités et partis politiques devraient entamer une réflexion sur le retour concret à l’ordre constitutionnel, en envisageant par exemple d’organiser des élections municipales avant la présidentielle de 2024. Celles-ci pourraient servir de ballons d’essais et redonner aux partis politiques des élus locaux, qui serviraient de relais lors de la campagne pour le scrutin qui marquera la fin de la transition.
Parmi les grands partenaires traditionnels du Burkina Faso, l’Union européenne est actuellement le mieux placé pour agir sur plusieurs volets politiques et économiques importants, notamment l’appui budgétaire au dialogue et à la cohésion sociale. En effet, les deux autres grands partenaires du pays, les Etats-Unis et la France, se trouvent dans une position particulière qui les empêche de se mettre en avant et limite leur capacité de coopération. Comme le veut leur législation en cas de putsch, les Etats-Unis ont considérablement réduit leur aide suite au coup d’Etat du 24 janvier. Elle est désormais concentrée sur l’humanitaire. La France, quant à elle, doit faire face au développement d’un fort sentiment anti-français qui complique son rôle au Burkina, rendant par exemple très difficile l’appui à des processus politiques comme le dialogue. Sans se substituer à eux, l’Union européenne, qui jouit d’une réputation de neutralité et d’efficacité auprès des autorités et de la population, est l’acteur le plus à même de garantir à l’Europe et à ses alliés le maintien de leur présence au Burkina Faso, au moment même où cette présence est disputée par d’autres puissances.