Lundi 5 septembre, au moins 35 civils ont été tués et une quarantaine de personnes blessées dans l’explosion d’un engin artisanal dans une région tenue par les groupes armés. Plus de 40 % du territoire est hors du contrôle de l’Etat.
Les Burkinabés l’ont surnommé « l’axe de la mort ». Le tronçon reliant la ville de Bourzanga à Djibo, dans l’extrême nord du pays, est devenu si dangereux que les voyageurs ont pris l’habitude de fermer les yeux et de murmurer leurs dernières prières en serrant un chapelet entre leurs doigts, dans le bus, espérant échapper à une des nombreuses mines artisanales cachées dans les amas de terre de la piste rouge ou à une embuscade des djihadistes, qui règnent dans cette région du Burkina Faso.
Lundi 5 septembre, au moins 35 civils ont été tués et une quarantaine de personnes blessées dans l’explosion d’un engin posé sur la route, selon un bilan officiel provisoire. Le car touché faisait partie d’un convoi escorté par l’armée, de retour d’une mission de ravitaillement de Djibo, qui vit sous blocus djihadiste depuis le mois de février. Parmi les victimes, des commerçants mais aussi de nombreuses familles qui tentaient de rallier Ouagadougou, à l’approche de la rentrée scolaire. « Il y avait des parents et leurs enfants profitant du convoi pour les inscrire à l’école dans la capitale, beaucoup d’élèves et d’étudiants de retour de vacances dans leurs familles restées à Djibo », précise Idrissa Badini, le porte-parole du Cadre de concertation des organisations de la société civile de la province du Soum (nord).
D’après les autorités, des rotations d’hélicoptères ont permis d’évacuer les blessés graves dans la capitale. Une vingtaine d’enfants, âgés de 6 mois à 10 ans, ont été pris en charge au centre hospitalier universitaire pédiatrique de Ouagadougou, qui a déclenché un plan blanc pour faire face à l’afflux des blessés.
Situation humanitaire dramatique
Plus de vingt-quatre heures après le drame, le travail d’identification des victimes était toujours en cours, la zone restant difficile d’accès et les passagers étant toujours coupés du réseau téléphonique. « Les corps étaient très abîmés, ils ont été enterrés dans une fosse commune à côté, on va essayer d’établir la liste des décès en contactant les survivants », indique Idrissa Badini.
Mardi, de nombreuses familles étaient toujours sans nouvelles de leurs proches. Comme Djibril Boina, étudiant de 27 ans, originaire de Djibo, qui guettait encore dans la soirée un signe de vie de sa mère et de sa belle-sœur. « Elles voyageaient avec un enfant de 3 ans et un bébé de 7 mois, je n’arrive toujours pas à les avoir au téléphone », s’inquiète-t-il. Comme beaucoup, elles profitaient du convoi pour fuir Djibo. Riz, huile, sucre, médicaments… « tout manque là-bas, c’est devenu invivable, les habitants sont pris au piège », s’attriste le jeune homme.
L’armée burkinabée tente d’escorter des convois de ravitaillement, sans parvenir à libérer la ville. Début août, quinze soldats ont été tués sur la route dans une double attaque à l’engin explosif artisanal. Depuis, aucun camion de marchandises ni convoi humanitaire n’a pu accéder à Djibo, où quelque 300 000 déplacés de la région s’entassent dans des camps de fortune – cinq fois plus que le nombre d’habitants. La situation humanitaire est dramatique. « Beaucoup ne font plus qu’un repas par jour et doivent se nourrir de feuilles d’arbres », assure Idrissa Badini.
En pleine saison des pluies, s’aventurer sur l’axe Bourzanga-Djibo s’est transformé en mission à hauts risques pour les militaires. Nids-de-poule, menace d’embourbement, pannes… « Les terroristes guettent, un simple pneu crevé peut être fatal », résume Liradan Philippe Ada, l’un des rares journalistes à avoir embarqué sur un convoi lors d’un reportage pour la chaîne burkinabée Omega TV. Cinquante-trois kilomètres de piste cabossée à travers la brousse et des villages fantômes, jonchés de « cadavres et de carcasses de camions », parcourus en « dix heures ». Un « calvaire, témoigne le reporter. Il faut progresser mètre par mètre, vérifier qu’une mine ne se cache pas sous un bout de bois, un bidon d’huile, un sachet plastique abandonné, les chauffeurs ont pour consigne de suivre les traces d’un blindé, il suffit de s’écarter de quelques centimètres pour sauter ».
40 % du territoire hors du contrôle de l’Etat
Au Burkina Faso, les groupes djihadistes, opérant sous la bannière d’Al-Qaida et de l’Etat islamique au Grand Sahara, intensifient leur stratégie d’asphyxie sur les villes du nord et de l’est du pays. Ces dernières semaines, plusieurs ponts ont été détruits à la dynamite sur des routes nationales menant à Djibo et Dori, afin de les isoler. Plus de 40 % du territoire est hors du contrôle de l’Etat, selon des chiffres officiels.
L’attaque du convoi, lundi, intervient au lendemain du discours du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, marquant le bilan de ses cinq mois au pouvoir, à la suite de son putsch en janvier. Faute de résultats tangibles, le chef de la junte, qui promet la « reconquête du territoire » aux Burkinabés, a revendiqué une « intensification des actions offensives », la neutralisation de plusieurs chefs terroristes locaux ou encore la reddition de « plusieurs dizaines de jeunes », dans le cadre d’un programme de réinsertion dans la vie civile. La junte mise sur une stratégie à « deux piliers », consistant à dialoguer, d’un côté, avec la mise en place de « comités locaux » pour inciter les combattants à déposer les armes et, de l’autre, à renforcer la pression sur ceux qui « refusent la main tendue de la nation ».
Mais l’impatience de la population monte face à la multiplication des attaques depuis le début d’année, avec une hausse de 76 % des incidents au premier semestre comparativement à la même période en 2021, selon les données de l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project. Près d’un habitant sur dix est désormais déplacé dans le pays tandis que plus de 3 millions de Burkinabés souffrent de la faim, soit la « pire crise alimentaire depuis une décennie », ont alerté lundi 28 organisations d’aide internationale.
Dimanche, le chef de la junte a affirmé que les derniers attentats sont plutôt le signe que « les terroristes procèdent désormais par groupuscules, misant sur des actions d’éclat, comme la destruction d’infrastructures, les menaces ou les attaques contre les populations, pour maintenir l’illusion qu’ils gagnent du terrain. » Djibril Boina, l’étudiant originaire de Djibo, lui, n’a pas écouté l’allocution du dirigeant à la télévision. « On est fatigués des discours, tout ce que l’on constate, c’est que c’est pire qu’avant », rétorque-t-il. En mai, la tentative de pourparlers visant à négocier une trêve et la levée du blocus à Djibo s’est soldée par un échec.