Sidérée, la Tunisie entame un nouveau cycle politique avec la dissolution, le 30 mars, de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) par le président Kaïs Saïed.
Huit mois après s’être arrogé les pouvoirs exécutif et législatif, le président tunisien Kaïs Saïed a décidé de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), dont l’activité était gelée depuis le 25 juillet 2021. Envers et contre tous les avertissements, la suspension a été bravée par les élus qui ont tenu une plénière à distance le 30 mars et voté à 115 voix sur 217 la levée des mesures exceptionnelles instaurées par le président.
Après avoir réuni le Conseil national de sécurité, le locataire de Carthage, visiblement irrité, voire offensé, par l’audace des députés frondeurs, a dénoncé, dans la soirée du 30 mars 2022, un coup d’État et déclare vouloir protéger « le peuple des menées de personnes portées par l’idéologie d’une secte ».
Seul aux commandes
Il a justifié sa décision par la nécessité de « préserver l’État et ses institutions » en se référant à l’article 72 de la Constitution. Ce dernier dispose que « le président de la République est le chef de l’État, symbole de son unité, il garantit son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution ».
Cet article, qui a été suspendu par les mesures exceptionnelles adoptées le 22 septembre 2021, ne lui permet pourtant pas explicitement de dissoudre l’Assemblée, laquelle ne peut l’être que dans le cas où la majorité des députés refusent par deux fois d’adouber un gouvernement.
Il est clair désormais que le président veut exclure du jeu politique les partis, dont Ennahdha, le PDL et Tahya Tounes, représentés à la plénière
La décision présidentielle a surpris une partie de l’opinion. « Depuis le 25 juillet, nous demandions à Kaïs Saïed d’en finir avec l’ARP, mais il nous opposait qu’il agissait dans le respect de la Constitution, et voilà que, soudainement, il la contourne et la bafoue », déplore un internaute sur les réseaux sociaux, demeurés très actifs toute la nuit.
La dissolution de l’ARP est l’épilogue d’une séquence ouverte en juillet 2021 mais qui ne voulait pas dire son nom. Le vote des élus, perçu comme une contre-attaque, a poussé Kaïs Saïed dans ses derniers retranchements. Le président, qui s’est défendu tout au long de ces huit mois d’avoir conduit un coup d’État, est désormais seul aux commandes.
Trahison
Certains se demandent si la plénière tenue par les députés n’était pas une manœuvre pour que Kaïs Saïed précise ses intentions. Il est en tout cas clair désormais que le président veut exclure du jeu politique les partis – dont Ennahdha, le PDL et Tahya Tounes – représentés à la plénière et dont les membres sont accusés de trahison.
Mais le président ne change rien à son programme et maintient la date des législatives au 17 décembre 2022, selon l’agenda qu’il a lui-même déterminé et qui inclut un référendum sur la nouvelle Constitution le 25 juillet.
La loi fondamentale prévoit pourtant que l’Assemblée dissoute reste opérationnelle le temps d’organiser de nouvelles élections sous 90 jours. Le président s’est voulu rassurant en rappelant qu’il y a des institutions et un État en place, mais beaucoup estiment que la Tunisie est entrée dans une zone de non droit et que Kaïs Saïed a désormais les coudées franches pour gouverner seul.
Parmi ceux qui soutiennent l’action du 25 juillet, certains auraient souhaité que Kaïs Saïed en finisse avec l’ARP dès sa prise de pouvoir. « Que de temps perdu avec un pays de plus en plus affaibli », commente un ancien de Tahya Tounes, tandis que le parti Afek Tounes en appelle à un dialogue sans revenir à la situation précédant le 25 juillet.
Dans la soirée, le bruit a couru que plusieurs arrestations de députés avaient été ordonnées, mais il n’en a rien été, bien que le président ait chargé la ministre de la Justice, Leila Jaffel, de poursuivre les élus contrevenants pour complot contre la sûreté de l’État.