Après une période de confusion, les militaires ont annoncé hier qu’ils avaient pris le pouvoir et avaient destitué le Président Kaboré dont le sort est inconnu. Après celui du Mali, ce coup d’état interpelle sur l’échec des pouvoirs civils.
Il y a deux semaines, le Président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, participait à un sommet régional qui a infligé de lourdes sanctions aux putschistes du Mali. Aujourd’hui, c’est lui qui est victime d’un coup d’État militaire, et son sort est inconnu.
Le Burkina Faso, un des États de la bande sahélienne, est le troisième pays à subir un coup d’État militaire en quelques mois, après la Guinée et le Mali ; quatre en incluant la succession bien peu orthodoxe au Tchad, en Afrique centrale, après la mort du Président Idriss Déby. Sans parler du Soudan, plus à l’Est, où les militaires ont confisqué le processus de retour à la démocratie.
Pourquoi cette épidémie de coups d’États ? Chaque pays a son histoire et ses particularismes ; mais dans le cas du Mali et du Burkina Faso, il est incontestable que l’impasse de la lutte contre le terrorisme djihadiste a ébranlé des sociétés et des États fragiles, généré frustration et colère.
Au Burkina Faso, l’attaque djihadiste d’Inata, en novembre dernier, qui a causé la mort d’une cinquantaine de gendarmes, l’attaque la plus meurtrière contre l’armée depuis 2015, a constitué un tournant. La gestion du Président Kaboré, son choix de s’appuyer sur des milices villageoises, le remplacement à quatre reprises du ministre de la Défense, et l’absence de résultats, ont scellé son sort.
Comme l’écrit le journaliste béninois Francis Laloupo sur Twitter, c’est « l’ère des mauvaises réponses aux justes interrogations ». Les militaires posent la question légitime des moyens, de la gouvernance, de la stratégie ; pour autant, ils n’ont pas véritablement les réponses.
Au Mali, ils se sont mis dans une impasse en faisant appel aux mercenaires de la société militaire privée russe Wagner, et en proposant un calendrier irréaliste de retour à la vie civile, avec une transition de cinq ans. Cela leur vaut des sanctions sévères.
Au Burkina Faso, ils ont confisqué un pouvoir que la société civile burkinabè avait reconquis il y a seulement sept ans, après le long règne de Blaise Compaoré, lui-même un ancien putschiste qui s’était emparé du pouvoir après l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Mais le retour à la démocratie a coïncidé avec l’extension de l’action des djihadistes, et ce pays parmi les plus pauvres au monde, n’a pas su faire face : son système politique n’a pas tenu.
C’est aussi assurément, un échec français dans la mesure où le modèle de gouvernement qui est aujourd’hui affaibli est celui que la France a encouragé et soutenu. C’est comme ça aussi qu’il est vécu par les populations de la région, qui en veulent à la présence militaire française de ne pas les avoir sauvées des terroristes, et à Paris d’être du côté des gouvernants, jamais du côté des sociétés.
La France, qui vient de perdre son 53ème soldat dans l’attaque d’un camp de l’opération Barkhane à Gao, au Mali, est face à des choix difficiles. Au Mali, elle est en conflit ouvert avec les maîtres militaires du pays ; au Burkina Faso, le porte parole de la nouvelle junte a pris soin hier de préciser que les engagements internationaux du pays seraient respectés, mais l’avenir est tout d’un coup incertain.
C’est toute la stratégie française au Sahel qui est en question, et, au-delà, un énorme point d’interrogation sur le modèle des États africains, après une période de démocratisation peu convaincante. En attendant d’y répondre, l’épidémie de pouvoir kaki se poursuit.