Dans le centre du pays, trois accords ont été signés entre les chefs de village du cercle de Koro, majoritairement habité par les deux communautés.
La paix au Mali pourrait-elle venir d’ententes conclues à l’échelle locale ? C’est l’espoir qu’ont fait naître, le 26 janvier, les trois accords signés entre les chefs de village du cercle de Koro, au centre du pays, majoritairement habité par des Peuls et des Dogon qui s’entre-tuent depuis 2017. Les deux communautés s’y engagent « à tout mettre en œuvre pour maintenir la paix ».
L’avancée est majeure dans cette région de Mopti, où les violences qui déchirent le Mali depuis 2012 ont transformé de vieilles querelles en conflit ouvert. La guerre « a créé un terreau fertile à l’émergence des groupes armés, qu’il s’agisse de groupes d’autodéfense ou de groupes djihadistes (…). L’implantation de ces groupes armés recrutant souvent sur une base ethnique a exacerbé la dimension communautaire du conflit », notait, en novembre 2020, le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) dans un rapport.
Dans les communes du cercle de Koro concernées par les trois accords de paix, 728 personnes ont été tuées lors de rixes intercommunautaires depuis la fin de l’année 2017 et 14 700 autres ont dû fuir leur foyer.
Qu’il s’agisse de la milice d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou (« les chasseurs qui se confient à Dieu ») ou des djihadistes localement amalgamés aux Peuls, les différents groupes armés ont petit à petit pris le contrôle de bourgades, de marchés ou de points d’eau. Un maillage brutal du territoire au nom de la défense des intérêts de chaque communauté.
Des médiateurs communautaires
« Mais le Peul, qui est éleveur, s’il ne vend pas son bétail, le Dogon cultivateur ne pourra pas lui vendre le foin qui servira à nourrir les bêtes, souligne une source militaire habituée de la région. Les deux sont interdépendants. »
Pour interrompre le cycle des représailles, les populations ont fini par en appeler, en mars 2018, aux médiateurs communautaires de l’organisation privée Centre pour le dialogue humanitaire (HD). Une première tentative d’accord a échoué en mai de la même année, car « le conflit opposant djihadistes, milices et forces armées avait fini par avoir raison de la bonne volonté des uns et des autres », selon les médiateurs. Mais le va-et-vient diplomatique entre les différents acteurs n’a pas cessé et les parties se sont finalement entendues deux ans plus tard.
Avec les accords signés en janvier, elles s’engagent à « encourager et faciliter la fréquentation des villages et des foires par toutes les communautés » ; à « faciliter la libre-circulation des personnes et de leurs biens sur toute l’étendue des communes » ; à « accompagner et faciliter le retour de tous les déplacés » ; et elles ont demandé aux civils de « ne pas circuler avec des armes dans les villages et villes ».
« Les accords sont officiels depuis janvier, mais le calme est en réalité revenu depuis septembre », souligne Issa Sagara, l’adjoint au maire de Koro. Soulagé de voir les marchés rouverts, il assure que Peuls comme Dogon s’y côtoient et que « beaucoup d’entre eux sont revenus chez eux ». Mais ces progrès restent timides.
L’année 2020, la plus meurtrière depuis 2012
Sur les seize communes que compte le cercle de Koro, cinq ne sont toujours pas couvertes par des accords de paix et des pourparlers se poursuivent dans huit autres. Brulaye Guindo, maire de Bankass, ville où un processus similaire est en cours, précise que « les négociations achoppent sur le désarmement des combattants », bien qu’aucune clause ne spécifie que leurs fusils leur soient retirés.
Ali Dolo, maire de Sangha, une commune voisine de Koro, est pourtant convaincu des vertus de ces échanges. Entre février 2018 et la formulation d’un accord tacite avec les djihadistes en juillet 2020, 269 personnes ont péri dans sa bourgade. Négociant avec des hommes armés pour la libération de son neveu en mai 2020, l’élu avait profité de la brèche pour engager les discussions à l’échelle de sa commune.
« Depuis, il n’y a quasiment plus d’incident et les Peuls circulent librement sur le territoire », assure Ali Dolo. Seulement, « M. le Maire », comme l’appellent ceux qui le croisent dans les rues de Bamako, la capitale malienne, ne peut plus remettre les pieds à Sangha. « Les militants de Dan Na Ambassagou m’ont accusé de complicité avec les terroristes et m’ont menacé », regrette-t-il.
« Nous refusons que notre culture, notre éducation, nos modes de vie meurent à cause de ces accords », tempête un proche de la milice dogon. Les accords, précise-t-il, ne cherchent pas à faciliter le retour de l’administration dans la région. Leur principale peur ? Que dans une région où Bamako n’a pas de voix, le vide soit comblé par la présence djihadiste.
Car si les civils n’en sont plus les cibles, les actes de terrorisme continuent dans le secteur. Malgré l’accalmie observable dans le cercle de Koro, à Bankass ou à Sangha, l’année 2020 a été la plus meurtrière depuis 2012. Selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), 1 592 morts liés au conflit ont été enregistrés dans la région de Mopti, loin devant celle de Gao, au nord du pays, qui en compte 571.
Le 26 janvier, quatre passagers d’un minibus ont été tués dans l’explosion d’un engin improvisé posé par un groupe djihadiste. Une « bavure ». La pratique, courante dans les environs, « visait en réalité un convoi militaire de ravitaillement qui remontait vers le nord », relate une source militaire, « et désormais, les cibles seront tous ceux qui travaillent de près ou de loin avec les forces du mal, c’est-à-dire les forces armées régulières présentes dans la zone ».