SUR LE FIL. Le pays peine à redémarrer son agenda politique, qui se profile sur les ruines et les mines de l’ancien système Bouteflika. Par Adlène Meddi, à Alger
À son retour, le 29 décembre dernier, après près de deux mois d’hospitalisation et de convalescence en Allemagne, le président Abdelmadjid Tebboune a inauguré la reprise de ses activités publiques par la signature de la loi de finances 2021 et du décret présidentiel portant promulgation dans le Journal officiel de l’amendement de la nouvelle Constitution. Pour rappel, le référendum sur la nouvelle Constitution, le 1er novembre 2020, a enregistré une abstention record, avec 23,72 % de taux de participation. Du coup, et depuis ce 1er janvier 2021, l’Algérie s’est dotée d’une nouvelle loi fondamentale qui impose un ruissellement d’amendements et d’ajustements des codes et des lois en vigueur. La prochaine étape annoncée dans le calendrier politique est l’amendement de la loi électorale. Une commission de juristes, la même qui a travaillé sur la réforme constitutionnelle, a été chargée en septembre de plancher sur ce chantier.
Des législatives anticipées avant fin juin ?
Le 13 décembre, lors de sa première apparition à partir de Berlin depuis son hospitalisation fin octobre, M. Tebboune avait annoncé qu’il avait « demandé à la présidence de prendre attache avec la commission chargée de la rédaction du nouveau Code électoral et qu’elle accélère dans sa mission pour que ce texte soit prêt dans 10 à 15 jours au plus tard ». Mais, pour le moment, la commission n’a rien annoncé de nouveau et le calendrier politique semble, encore une fois, perturbé. Or, selon des députés approchés par El Watan, le nouveau Code électoral pourrait atterrir à la mi-janvier au Parlement pour son adoption. S’ensuivrait la convocation du corps électoral fin février pour des législatives anticipées avant fin juin. Cette échéance électorale représente plusieurs défis pour le système en place. D’abord, comment reconfigurer, sur un tas de ruines politiques, une nouvelle scène partisane au sein de la représentation nationale ?
Les errances des partis de l’allégeance
Les partis du pouvoir, FLN, RND, MPA et TAJ, ont été réduits à leur propre poids d’appareils d’allégeance complètement déboussolés par la décapitation de l’ancien régime Bouteflika. D’anciens « leaders » de ces partis se sont retrouvés en prison pour des affaires de corruption et les actuels cadres dirigeants, bombardés à ces postes en pleine crise politique, s’apparentent plus à des intérimaires attendant des lendemains incertains, se tâtant nerveusement le cou en prévision du prochain déclenchement du couperet.
On peut s’attarder ici sur le cas du parti du Front de libération nationale (FLN). L’ex-parti unique, le parti-État, parti majoritaire et chasse gardée du président déchu Abdelaziz Bouteflika, observe un prudent wait and see dans la configuration actuelle. Prudence et crainte. Car si le président Tebboune est un membre, historiquement parlant, de ce parti, il a pris soin, en juin 2020, d’annoncer qu’il avait « gelé » sa qualité de membre du comité central du FLN, qu’il n’avait aucun lien organique avec le vieux parti et, surtout, qu’« il ne s’est pas porté candidat au nom de ce parti à l’élection présidentielle du 12 décembre 2019 ».
La prompte réaction du président est intervenue pour recadrer les instances dirigeantes du FLN qui se vantaient, quelques heures avant les précisions présidentielles, d’avoir le soutien du chef de l’État. Le vieux parti, criblé de scandales de corruption électorale (son ex-patron Djamel Ould Abbès est emprisonné pour une affaire d’achat de voix) et symbole des années de règne de Bouteflika semble représenter un inconvenable passif à oublier, à marginaliser… ou à réadapter.
Une opposition divisée face au système
Mais l’opposition, justement, où en est-elle ? Côté islamiste, au sein du parti le plus structuré et le plus présent dans les instances électives de cette mouvance qu’est le MSP (tendance Frères musulmans), la perspective de renouer avec le jeu parlementaire ne rebute pas. Au contraire, cela s’imbrique parfaitement dans la politique d’entrisme graduel, surveillée d’un œil hostile par les appareils étatiques, dans le système. Les oppositions laïques et de gauche, comme le RCD ou le FFS, restent sur une position de rejet de l’agenda des autorités, même si, pour le moment, aucune décision claire n’a été émise quant aux prochaines échéances électorales.
Quid du hirak ?
Du côté du hirak, ce mouvement populaire qui a fait évincer le président déchu au printemps 2019, on remarque un écartèlement entre deux tendances qui restent, les deux, éloignées de toute projection électorale. D’un côté, il y a Nida 22 (l’appel 22, en référence à la date du déclenchement du hirak le 22 février 2019) qui est un mouvement rassemblant activistes et universitaires pour réfléchir à la suite à donner à la dynamique du hirak, de l’autre, il y a al-massar al-jadid (nouvelle voie), un mouvement d’activistes aussi, mais qui tente de trouver une synthèse entre hirak et pouvoir en place.
« Du côté du hirak ou des démocrates, ou encore dans la société civile, nous sommes en train de perdre un temps fou en refusant de nous organiser et de nous unir pour occuper les instances représentatives », regrette une professeure d’université. « Nous laissons ainsi le Parlement, les mairies et toutes les assemblées électives aux mains de la même clientèle du régime et des islamistes. Il ne faudra pas s’en plaindre après. Nous payerons cher cette obsession oppositionniste », poursuit celle qui dit n’avoir raté aucune manifestation du hirak.