Depuis 2012, des centaines de milliers de Maliens sont contraints de se déplacer, chassés par des violences elles-mêmes mobiles
Gao… Sept mois que Seydou* y a posé son baluchon. Et pour combien de temps encore ? Pourra-t-il vraiment se sédentariser là, à quelques kilomètres de la grande ville du nord du pays ? En puisant l’eau dans le fleuve Niger, au milieu de ce paysage désertique, l’homme s’interroge.
Avant le mois de mai, il vivait à Tessit, la ville de sa famille, à une centaine de kilomètres de là. Puis un jour, des hommes armés sont venus le menacer. Alors, lui, son épouse et ses frères ont pris la route. Une fois encore.
Les fuites sous la menace d’armes ponctuent la vie de ce Malien. En 2012, il a tout juste 10 ans quand son père l’agrippe par le bras parce que retentissent les premiers coups de feu de l’insurrection dans sa région. La famille prend la direction du Burkina Faso voisin, alors plus stable.
Là, Seydou grandit dans la précarité mais en paix. Jusqu’au jour où des djihadistes commencent à s’inviter à Goudoubo, le camp de réfugiés proche de la frontière malienne où ils avaient trouvé refuge. En mars 2020, la confusion devient telle que les autorités burkinabées poussent, en dernier recours, les réfugiés maliens à repartir. « C’est là-bas que j’ai vu mes premiers combats, lorsque les forces de sécurité ont été attaquées par les groupes armés », se souvient Seydou.
63 000 déplacés dans la région
En mai, sa famille s’est rendue à l’évidence. Quitte à vivre dans l’insécurité, autant rentrer au pays. Beaucoup ont fait le même calcul et si Goudoubo comptait encore 9 000 personnes en janvier selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le site est désormais vide.
Du statut de réfugié, Seydou est donc passé à celui de « rapatrié », pour aujourd’hui devenir un « déplacé interne » selon le jargon humanitaire. Selon la Direction nationale du développement social du Mali, près de 12 500 Maliens sont rentrés dans la région de Gao qui abrite désormais 63 000 déplacés internes sur les 311 000 que compte le Mali. Une donnée qui flirte dangereusement avec le pic des 353 500 déplacés de juin 2013 et qui illustre la dégradation permanente des conditions de vie sur ces terres.
« La région connaît beaucoup de turbulences », euphémise Moussa Misso Maïga, directeur du développement social à Gao, qui sait bien que « les djihadistes s’affrontent dans le coin ». Depuis le début de l’année, l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), se livrent en effet à une guerre d’influence sans merci après avoir rompu leur entente fragile. Un divorce consommé en mai, après la diffusion d’un message audio où Iyad Ag-Ghali et Amadou Koufa, les deux principaux leaders du GSIM, sont accusés d’être des « chefs apostats » par l’EIGS.
Au début, les combats se concentraient dans le centre du pays, où l’EIGS grignotait des parcelles de territoire, affaiblissant la mainmise de la katiba Macina d’Amadou Koufa. Mais les rixes meurtrières entre les frères ennemis se sont progressivement déplacées vers le nord, dans la région des trois frontières – à cheval sur le Mali, le Burkina Faso et le Niger – et plus particulièrement autour de la localité d’Ansongo, non loin de Tessit. « Les combats nous y ont trouvés, on les a entendus », concède Alassane*, qui s’est imposé comme chef du nouveau village où vit Seydou.
Instabilité récurrente et omniprésente
Sortant de sa masure, une femme veut prendre la parole, raconter, même si « c’est difficile d’en parler », le jour où des hommes armés qu’elle ne peut identifier lui ont demandé de quitter le lieu. « On est dans une conquête de territoires et nous, les communautés locales, sommes une gêne à leur libre circulation », explique-t-elle avec assurance.
Gao et ses environs sont connus pour avoir été la chasse gardée du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un mouvement anciennement affilié à AQMI à qui l’un des membres, Adnane Abou Walid Al-Sahraoui, a fait faux bond en ralliant les rangs de l’organisation de l’Etat islamique.
« Cette présence de longue date a permis à l’EIGS d’avoir le soutien des locaux grâce à une logistique bien implantée là », note un observateur de la région. Une assise historique que les djihadistes sous la bannière du GSIM essaient de briser. « La demande de départ des populations fait sens, observe une source sécuritaire à Gao. Il y a une méfiance envers ces communautés, la peur qu’elles soient sympathisantes ou sous le joug de l’EIGS. »
Las de cette instabilité récurrente et omniprésente, Alassane comme Seydou se savent pourtant une nouvelle fois en sursis. « Nous sommes dans une incertitude totale, installés sur un site qui ne nous appartient pas, d’où nous pouvons être expulsés à tout moment », souffle-t-il.
Hors de question pour lui de retourner à Tessit. Il aimerait rester à Gao et espère que le HCR l’y aidera. Le Haut-Commissariat aux réfugiés devrait accueillir prochainement près de 600 personnes venues du centre du pays. Seydou est prêt à attendre qu’un lieu soit identifié par les autorités pour que lui et les siens s’installent.
Pour les humanitaires, cet exode rural forcé est un réel défi. Arrivant sans le sou, ces déplacés viennent surcharger des services sociaux déjà défaillants. En dépit du bitume impeccable des principales artères, des feux rouges flambant neufs aux carrefours, certains quartiers de Gao n’ont pas accès à l’eau courante. « Et les déplacements de populations perturbent les moyens de subsistance des populations du coin, venant encore aggraver des indicateurs pas bien bons au départ », s’inquiète Claude Mululu, chef du sous-bureau du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) à Gao.