Le Burkina Faso oscille entre joie et inquiétude après la libération des otages détenus au Mali

Le soulagement et l’inquiétude, la joie et la colère. Au Burkina Faso, pays frontalier du Mali et lui aussi confronté au péril djihadiste, la libération de l’humanitaire française Sophie Pétronin et de l’homme politique malien Soumaïla Cissé a provoqué des sentiments mêlés. Ces otages étaient jusqu’alors détenus dans le nord du Mali par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), la principale alliance djihadiste au Sahel liée à Al-Qaida.

Dès la confirmation de la nouvelle par la présidence à bamako, jeudi 8 octobre au soir, la Toile burkinabée s’est emballée. « Enfin, Dieu merci ! », se sont exclamés de nombreux internautes sur les réseaux. « La grande délivrance », titrait jeudi soir le quotidien burkinabé Le Pays, reprenant dans son article la célèbre citation du réalisateur américain Woody Allen : « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin. »

Du côté de la classe politique, le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, s’est réjoui pour les otages, déclarant vendredi matin sur Twitter : « Je m’associe au bonheur de leurs familles respectives et félicite tous les acteurs qui ont contribué à leur libération. » « C’est un grand soulagement et une joie de voir qu’ils ont pu retrouver la liberté, la privation de liberté est une torture », souligne le chef de l’opposition, Zéphirin Diabré, souhaitant « beaucoup de succès » à Soumaïla Cissé, son « ami et frère, dans ses combats futurs ».

« Leur vie compte pour du beurre ! »

Mais au Burkina Faso, où les violences djihadistes attribuées notamment à Al-Qaida et à l’Etat islamique dans le Grand Sahara ont fait plus de 1 600 morts depuis 2015, l’annonce de la libération de dizaines de prisonniers, présentés comme des « combattants djihadistes » – 200 selon les canaux pro-GSIM sur le réseau Telegram –, en contrepartie du retour des otages, a aussi suscité la colère et l’indignation. Certains craignent un regain des attaques sur le territoire burkinabé, qui partage près de mille kilomètres de frontière avec le Mali. Sur les réseaux sociaux, beaucoup s’interrogent : « Combien de membres des forces de sécurité et de civils vont tomber à cause de ces terroristes libérés ? Leur vie compte pour du beurre ! Et malheureusement nous allons payer les pots cassés », s’inquiète un internaute sur Facebook.

Le prix peut sembler élevé pour les proches des victimes et les populations du nord et de l’est du pays où sévissent les groupes armés. Mais aussi pour les forces de défense burkinabées qui, dans cette guerre contre le terrorisme, paient un lourd tribut avec plus de 400 militaires tués en cinq ans. « C’est du gâchis, fustige un officier, amer, sous couvert de l’anonymat. On a déjà du mal à maîtriser la frontière avec le Mali, si c’est vrai, ça risque encore de les renforcer et on peut s’attendre à une multiplication des attaques bientôt. »

D’après les informations du « Monde Afrique », plusieurs cadres du djihad figureraient sur la liste des terroristes présumés relâchés, comme le Mauritanien Fawaz Ould Ahmed, un lieutenant de Mokhtar Belmokhtar arrêté en 2016, impliqué dans les attentats perpétrés un an plus tôt au Mali contre le restaurant La Terrasse à Bamako (6 morts) et l’hôtel Byblos à Sévaré (22 morts).

Certains se demandent également si une telle opération ne risque pas d’alimenter le trafic des otages et des rançons au Sahel. « La libération de terroristes, quels que soient leur nombre et leur rang, ne peut qu’enflammer la poudrière dans la sous-région. Ces derniers seront remis à leur base et réarmés. La stratégie de monnaie d’échange est un cercle vicieux », déplore Raogo Antoine Sawadogo, ancien ministre de la sécurité burkinabé et actuel président du think-tank Laboratoire citoyennetés.

« Changer de stratégie »

Malgré tout, la libération négociée de la dernière otage française dans le monde et de l’ancien chef de l’opposition malienne ravive les espoirs des familles qui guettent, parfois depuis de longues années, le retour de leurs proches. Au moins cinq otages occidentaux sont toujours détenus au Sahel. A Djibo, dans le nord du Burkina Faso, les habitants comptent les jours, d’un coup de craie sur les murs de la clinique du docteur Kenneth Elliott, depuis que ce dernier a été enlevé en 2016. « Si on a pu négocier pour Mme Pétronin et M. Cissé, peut-être que c’est jouable pour Elliott, on veut continuer à y croire », confie Sidiki Tamboura, le porte-parole du comité de soutien des habitants de Djibo au chirurgien australien désormais âgé de 85 ans.

Egalement enlevés dans la région, Iulian Ghergut, un officier de sécurité roumain, en 2015 sur la mine de Tambao, et Christo Bothma, un minier sud-africain, en 2018 à Inata, sont toujours en captivité, ainsi que plusieurs élus locaux et notables burkinabés, tel le curé de Djibo.

Pour l’heure, la présidence burkinabée a toujours affiché son refus de discuter avec les groupes armés. Mais certaines voix s’élèvent pour demander l’ouverture d’un « dialogue », à l’image de ce que le Mali a commencé à entreprendre. Le parti de l’ancien président Blaise Compaoré, qui avait noué à son époque des contacts avec certains chefs djihadistes de la région, n’a pour sa part jamais caché sa volonté de négocier. « Le terrorisme ne se combat pas par les armes mais par la diplomatie, il faut changer de stratégie, discuter pour comprendre pourquoi on nous attaque et trouver une solution vers la paix », argue ainsi Eddie Komboïgo, président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et candidat à la présidentielle du 22 novembre.

« Dans tous les conflits de l’histoire de l’humanité, à un moment il faut bien qu’il y ait un contact avec les belligérants. Sous quelle forme ? Là c’est un autre débat », estime de son côté Zéphirin Diabré, le chef de l’opposition burkinabée, plus prudent. A environ un mois des élections présidentielle et législatives au Burkina Faso, le sujet reste sensible et politiquement explosif. Contacté, le porte-parole du gouvernement n’a pas souhaité répondre à nos questions.