Enfin le gouvernement retrouve la voix pour condamner la série intolérable d’actes attentatoires à la souveraineté nationale commis par la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) depuis un certain temps. Il s’agit, selon le communiqué du gouvernement de ce mercredi 27 mai 2020, ‘’d’une prétendue grâce accordée à des détenus, à la délivrance d’autorisations de déplacement sur des sites d’orpaillage en passant par le refus de recevoir les médecins en charge de la lutte contre la maladie à Coronavirus et les nombreux obstacles érigés contre la présence de l’Armée nationale reconstituée’’.
Soucieux, dit son porte-parole, de la paix et de la réconciliation nationale, le gouvernement invite l’ex-Mouvement séparatiste à inscrire ses ‘’actions dans un cadre démocratique qui respecte la forme républicaine de l’Etat du Mali et l’intégrité de notre territoire national’’. Quid des provocateurs ? Aucune sanction n’est envisagée ! Ils sont simplement invités à faire de preuve ‘’de la plus grande retenue et à privilégier les moyens et comportements qui désamorcent les tensions et favorisent un retour rapide et durable à la paix et à la cohésion nationale, notre seul salut’’.
La réaction laborieuse et très pesée du gouvernement fait toutefois sourire les ex-séparatistes de la CMA qui par la voix d’un de leurs ex-porte-parole pyromanes, Hama Ag Sid Ahmed qu’explique : ‘’…l’accord de juin 2015 est porté disparu, ce qui signifie en langage clair qu’il est caduc. Il est caduc parce que l’État n’en veut pas, pourtant il continue de s’intéresser à un territoire qu’il ne contrôle pas, qu’il ne connaît pas et qu’il n’aime pas… En l’absence de l’Accord, les responsables dans cette région Touareg prennent des mesures pour protéger les populations, attraper des voyous, gracier certains prisonniers, contrôlent et sécurisent des espaces aurifères de la région de Kidal pour éviter la contamination de la nappe phréatique et surveillent également les entrées…’’
Que retenir des actes de la CMA, de la réaction du gouvernement et de la contre-réaction de la CMA à travers Hama Ag Sid Ahmed ? Que le Mali n’a désormais plus de souveraineté sur Kidal ? Ou serait-ce une énième provocation de la CMA ?
Un enchaînement préoccupant
Nous aurions volontiers parié sur la provocation coutumière des séparatistes si l’enchaînement des évènements n’était pas aussi préoccupant. Nous aurions souri si visiblement Kidal ne cherchait pas l’escalade…C’est un euphémisme de la part du gouvernement que dire que ‘’la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), s’arroge des actes régaliens de l’État en violation flagrante des termes de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, issu du processus d’Alger’’.
Le constat douloureux qu’il soit s’impose à tous, au Mali et aux amis du Mali : la CMA porte atteinte à la souveraineté du Mali, pardon la CMA s’arroge, en violation de la Constitution, une partie de la souveraineté du Mali. Ce n’est pas l’accord qui est violé, c’est la Constitution du Mali qui est violée. Et en aucun cas, l’Accord pour la paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger (APR) ne peut être supérieur à la Constitution du Mali.
Et le gouvernement ne fait pas si bien de dénoncer la spoliation des attributs de la souveraineté et les droits régaliens de l’État du Mali.
La Constitution du Mali qui définit et les principes en la matière dit en son article 26 : ‘’la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » et en son article 117 : ‘’la République du Mali peut conclure avec tout État africain des accords d’association ou de communauté comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’unité africaine’’.
En effet, rien dans la Constitution et dans l’Accord pour la paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger (APR) ne peut conférer à la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) droit et prérogative en la matière. C’est à l’État malien seul détenteur de la souveraineté qui exerce les prérogatives de la puissance publique, auquel appartient aussi d’exercer ‘’droits régaliens’’, ‘’fonctions régaliennes’’, ‘’pouvoirs régaliens’’ sur le territoire national. Sur le plan des attributs que confère la souveraineté, l’on peut noter qu’il appartient à lui et à lui seul (État Malien) de : légiférer (faire les lois), battre la monnaie (par le biais de la Banque centrale), lever les impôts, lever une armée, faire la guerre, signer la paix, assurer la douane, assurer la sécurité intérieure et extérieure, rendre la justice, accorder des grâces, réaliser des infrastructures publiques, etc.
La violation de la souveraineté
De ce qui précède la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) est bel et bien en violation de la souveraineté du Mali. Souveraineté qui peut être définie comme ‘’la puissance absolue et perpétuelle d’une République’’ selon Jean Bodin (1530-1596) ; souveraineté qui est et reste le principe de l’autorité suprême d’un Etat et le droit absolu qu’il a d’exercer son autorité (législative, judiciaire et/ou exécutive) sur son territoire.
Les attributs de la souveraineté
Les attributs de la souveraineté sont toutes les institutions et les symboles qui l’expriment et la garantissent, dont la synthèse est l’État.
La souveraineté reste toujours cette « puissance absolue » dont parlait le Français Jean Bodin (1530-1596) qu’elle soit celle d’une personne, d’où le mot « souverain » désignant un autocrate (roi, empereur, tsar, calife, sultan…) d’un groupe de personnes (juntes militaires, partis politiques) ou enfin, dans son acception démocratique, d’un peuple en tant que nation.
L’État, synthèse des attributs de la souveraineté nationale
L’État incarne la nation lorsqu’il en est sa véritable émanation. C’est lui qui la représente dans le concert des nations en ayant voix au chapitre à l’ONU et dans des organisations continentales ou régionales. Il est le dépositaire (j’allais dire le propriétaire) et le gardien de la souveraineté nationale, sujet de fierté de ses citoyens. Il dispose d’attributs réels, naguère appelés les « appareils idéologiques d’État » ainsi que d’attributs symboliques.
– Les attributs réels
Ils sont toutes les institutions de la nation, au premier rang desquelles se trouvent l’Exécutif, le législatif et le judiciaire (palais de la République, Palais du peuple, Palais de la justice…), une organisation administrative, les organes assurant les services publics (l’école, les services de santé, l’énergie, les infrastructures routières…) ainsi que la sécurité avec l’ensemble de ses corps dont le plus important est l’armée. Il y a les attributs assurant les moyens de subsistance de l’État, les impôts, la frappe de la monnaie. La représentation diplomatique à l’étranger et celle des autres pays sur son territoire.
Tous ces attributs réels de la souveraineté assurent une forme d’indépendance, gage de l’avenir de la nation.
– Les attributs symboliques
Ce sont l’ensemble des armoiries (drapeaux, hymnes, logos officiels (comme par exemple ceux de compagnies aériennes nationales, des différentes corps d’armée, des équipes nationales…), la langue et les personnalités nationales ayant acquis une renommée prestigieuse à l’échelle internationale, que ce soit dans les domaines du sport, de la culture, de la politique ou de la science.
Ces attributs sont plus importants aux yeux de la nation. Ce sont ceux qui donnent le plus consistance au sentiment national et transforment l’idée nationale en force matérielle par la fierté et l’émotion qu’ils suscitent.
Ces attributs de souverainetés assurent une fonction d’expression existentielle de la nation, de la différence qui la caractérise par rapport aux autres. Ils ont le mérite d’affirmer le droit à la vie de chaque nation, de chaque culture, de chaque langue et de chaque identité collective qu’un individu, à lui seul, ne pourrait pas faire reconnaître par son environnement.
Le seul détenteur de la compétence de la compétence
Sur le territoire national afin d’assurer la pérennité et la cohésion de la société, l’État n’est en concurrence avec aucune autre entité, sa volonté prévalant sur toutes les personnes morales ou physiques. Il détient seul, comme on dit, «la compétence de la compétence» et dispose de ce fait de prérogatives, en particulier :
• la capacité à s’organiser lui-même,
• le monopole de la production du droit,
• la légitimité de l’autorité (pouvoir de la violence légitime sur son territoire) et du contrôle sur la population,
• le monopole de la force publique.
En raison de ses prérogatives régaliennes, le l’État souverain doit aussi assurer certaines tâches :
• le maintien de l’ordre public,
• la justice,
• la défense nationale,
• la monnaie,
• l’administration publique,
• etc.
Aucune faillite de l’État ne peut conférer à une partie du peuple tout ou partie la souveraineté qui reste le monopole du peuple tout entier (article 26 de la Constitution). Dès lors c’est en violation des droits régaliens de l’État du Mali et par atteinte intolérable à la souveraineté du Mali que la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) s’est arrogée le droit de maintenir l’ordre, d’assurer la défense, de rendre la justice et d’exercer le droit de grâce.
En effet, du latin gratia (faveur, complaisance, obligeance, grâce…) la grâce est une indulgence ou un pardon accordé à quelqu’un. En matière judiciaire, la grâce est une remise de peine partielle ou totale en faveur d’un condamné ou la transformation d’une peine de mort en une peine d’emprisonnement. L’article 45 de notre Constitution est clair : seul « le Président de la République … exerce le droit de grâce. Il propose les lois d’amnistie ».
Prévu par l’article 45 de la Constitution donc, le droit de grâce du président de la République est une survivance des droits régaliens des rois de France dans l’Ancien Régime, eux-mêmes hérités des légistes de l’Empire romain. En effet, le Roi est fontaine de justice, de lui découle tout pouvoir de justice. Il peut donc punir, et a fortiori, il détient le pouvoir de pardonner. Finalement, le droit de grâce en France est concomitant avec l’affirmation du pouvoir étatique et de l’autorité du souverain, ce qui fait que toujours, le droit de grâce a appartenu au Roi, puis au chef de l’État, quelles que soient les formes de régimes.
Dès lors, en vertu de quoi, le président de la CMA, Bilal Ag ACHERIF se permet-il d’exercer sur le territoire du Mali ce droit qu’appartient qu’au seul président du Mali, une prérogative dite ‘’régalienne’’, qui lui permet de commuer, réduire ou annuler une peine ? En tout cas aucun article de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger ne permet à la CMA de porter atteinte à la souveraineté du Mali.
Gérer ces graves atteintes à la souveraineté du pays par un communiqué laconique nous semble, pour notre faiblesse d’esprit ou notre débilité, un suprême aveu d’État de la part du gouvernement. Un Gouvernement dans la tourmente et manquant totalement de vue qui semble se résigner et acter le fait accompli. Nous espérons nous tromper.
En tout cas, pour la gouverne de tous : LE MALI EST ET RESTERA UN ET INDISIVIBLE. QUOI QU’IL ARRIVERA !