Enlevé le 25 mars par un groupe se revendiquant d’AQMI, le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, est l’objet de négociations très dures de la part des chefs djihaidistes violemment hostiles à l’Etat malien et à la France
Emmené à l’arrière d’une moto par ses ravisseurs à la veille des élections législatives dans la circonscription de Niafunké (région de Tombouctou) où il était candidat, le chef de l’opposition malienne et ancien Premier ministre, Soumaïla Cissé, a été séparé de ses camarades et nul ne l’a revu depuis.
Le maire de la commune de Koumaïra, Amadou Oumar Kalossi, brièvement enlevé à son tour alors qu’il entreprenait une négociation en faveur de la libération du président de son parti, a retrouvé la liberté le 10 mai. Il a déclaré n’avoir pas vu Soumaïla Cissé. Mais avoir entendu dire, par ses geôliers, qu’il était bien traité. Il a dit avoir été lui-même « traité humainement et avec respect. »
Preuves de vie absentes
Me Demba Traore, le porte parole de l’URD, le mouvement de Soumaïla Cissé, a confirmé l’absence de preuve de vie de son président à Mondafrique. « Depuis son enlèvement et jusqu’à cette date, en ce qui nous concerne, au sein du parti aussi bien qu’au niveau de sa famille, personne d’entre nous n’a vu une vidéo, une preuve de vie le concernant. »
Si les institutions régionales et panafricaines, plusieurs chefs d’Etat de la région ainsi que la majorité de la classe politique et de la société civile malienne ont appelé à la libération immédiate du septuagénaire, l’URD ne sait rien des initiatives prises par la cellule mise en place par le gouvernement. « Je ne saurais dire grand-chose. Je ne suis pas membre de cette cellule », a expliqué Me Traore. « Nous n’avons pas d’information officielle, mais ce qui nous parvient venant de Niafunké, des villages et communes environnantes, c’est que notre président est très bien traité et qu’il va être libéré sous peu. »
Du « gros poisson »
Dans un audio diffusé sur les réseaux sociaux juste après l’enlèvement du chef de file de l’opposition, un homme se présentant comme un proche d’Amadou Koufa, le chef de la Katiba Macina rattachée à Aqmi, avait revendiqué l’enlèvement en expliquant que le groupe comptait bien négocier le mieux possible la libération de l’homme politique qualifié de « gros poisson ». « Il faut en tirer profit : de l’argent et la libération de nos prisonniers », poursuivait-il. Ses ravisseurs ont clairement indiqué espérer une rançon à la hauteur du poids politique du chef de file de l’opposition.
D’après certaines sources, c’est le chef des opérations militaires de la Katiba Macina qui aurait pris Soumaïla Cissé, en attaquant son convoi sans savoir de qui il s’agissait. Cette action s’inscrivait dans le combat plus général mené par AQMI contre le processus électoral et tous les représentants de l’Etat malien. La campagne électorale a d’ailleurs été marquée par d’autres enlèvements et attaques de candidats tandis que des messages de menaces étaient relayés par des hommes armés à Tombouctou, Gao et Mopti contre les électeurs voulant se rendre aux urnes.
Abou Talha Al-Libi à la manoeuvre
Le nouveau chef d’AQMI au Mali, Abou Talha Al-Libi, un Libyen né à Sebha que l’armée nationale libyenne affirmait avoir tué en 2019, a repris l’organisation en main depuis quelques mois. Il coiffe désormais la Katiba du Macina ainsi que le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) commandé par Iyad Ag Ghaly, rappelés tous deux à l’orthodoxie idéologique, y compris dans leurs velléités de négociations avec les autorités maliennes.
C’est sous son commandement qu’on assiste depuis le début de l’année à un sursaut spectaculaire d’AQMI contre son rival de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), qui lui a permis de reconquérir le terrain perdu dans le Gourma et au Nord du Burkina Faso.
L’Etat malien dans le collimateur
AQMI reprend également l’initiative du rapport de force frontal avec l’Etat malien, accusé de servir les intérêts de ses alliés étrangers au détriment des croyants et du peuple malien selon la terminologie en vigueur. Les attaques de Dioungani et Sokolo contre l’armée et la gendarmerie maliennes, fin janvier, en attestent.
Pour AQMI, en somme, même s’il est le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé est partie intrinsèque du système à combattre et ne mérite pas un meilleur sort que les autres.
AQMI veut également faire la preuve de sa loyauté au djihad et s’inscrire en faux contre les accusations de traîtrise émanant de ses concurrents de l’Etat islamique. Elle doit donc rassurer ses combattants sur le fait qu’elle n’entend pas composer avec l’Etat.
En exigeant le départ des forces françaises en prélude à toute discussion, le GSIM sonne finalement le glas des négociations. Il place aussi le Président Ibrahim Boubacar Keita dans une posture bien délicate. Car il lui sera difficile de convaincre son opinion publique de sa volonté sincère de faire libérer son premier adversaire politique. Au-delà des inquiétudes pour la santé et la sécurité du chef de file de l’opposition, la situation démontre l’impuissance d’Ibrahim Boubacar Keita et de ses partenaires et nourrira assurément bien des soupçons.