Au cours d’une interview exclusive qu’il a accordée à la Deutsche Welle (DW) Boubou Cissé explique les raisons de sa visite à Kidal. Le Premier Ministre se prononce aussi sur plusieurs sujets liés à l’actualité politique et sécuritaire du Mali.
Le Premier ministre malien, Boubou Cissé, vient d’achever une visite dans la région de Kidal, fief des mouvements rebelles touareg, où il a promis le retour de l’administration.
Cette visite hautement symbolique du Premier ministre malien, Boubou Cissé, dans le nord du pays du 4 au 7 mars, est survenue trois semaines après l’arrivée d’un contingent de l’Armée malienne reconstituée(APR) dans le fief des ex-rebelles touareg. Pendant son séjour, le chef du gouvernement s’est entretenu avec les ex-rebelles touareg qui contrôlent toujours Kidal, notamment ceux de la Coordination des Mouvements de l’Azawad- CMA. Au menu des entretiens : la lancinante question du désarmement des ex-combattants et le retour progressif de l’administration centrale, comme l’a prévu l’Accord de paix et de réconciliation signé à Alger en 2015 (APR).
Au cours d’une interview exclusive qu’il a accordée à la Deutsche Welle (DW), Boubou Cissé explique d’abord les raisons de cette visite, dont la dernière en date remonte à mai 2014. Boubou Cissé se prononce aussi sur plusieurs sujets liés à l’actualité politique et sécuritaire du Mali.
Deutsche Welle : Quel sens donnez-vous à cette visite symbolique dans la région de Kidal?
Boubou Cissé : C’est une visite importante et particulière qui a lieu dans un contexte de l’accélération de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Entreprendre une telle visite revêt un caractère particulier surtout dans une région affectée depuis longtemps par une crise sécuritaire. J’ai visité cette région en compagnie des membres du gouvernement engagés dans la gestion directe de la situation sécuritaire, de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, de la préparation des élections à venir et en vue de rassurer les populations, les leaders communautaires et les acteurs du processus de paix, de la ferme volonté du Président de la République, de reconstruire un Mali uni et fort.
Aussi, la visite m’a permis en tant que Premier ministre, en mission du Président de la République, de me rendre compte des avancées réelles ainsi que des défis du processus de sortie de crise dans la région et de prendre les mesures appropriées.
C’est une visite particulière et importante aux yeux de tous les acteurs car, il s’agit d’une visite du Premier ministre, acceptée, voulue et accueillie par les populations de Kidal et les leaders des mouvements signataires de l’APR et les autorités locales. J’ai noté la présence effective de l’État à travers ses symboles, notamment le drapeau national.
La présence des Forces armées maliennes (Fama) reconstituées à Kidal est un signe fort du rétablissement de l’autorité de l’État malien qui doit assurer la protection des biens et des personnes sur l’ensemble de son territoire. Bientôt toutes les forces maliennes se mettront ensemble, avec leurs partenaires, pour mettre fin à l’insécurité à Kidal et dans le reste du Mali.
Comment avez-vous été accueilli dans les villes visitées ?
Ma visite a été voulue et caractérisée par un accueil comme cela se doit dans une République. A notre descente d’avion, ma délégation et moi-même, dans chaque ville visitée, il y avait l’administration locale, les membres des autorités intérimaires, les notabilités traditionnelles, les leaders des mouvements signataires et les responsables des organisations internationales présentes à Kidal.
La population n’est pas restée en marge, particulièrement à Tessalit et Ménaka où femmes, hommes, jeunes et vieux étaient à l’accueil. Bien sûr, tout ne peut pas être exceptionnel compte tenu du contexte. Nous sommes conscients que nous sommes dans un processus de paix et de réconciliation après une crise qui continue d’ailleurs.
Si l’APR a permis de baisser les tensions du conflit interne entre maliens, les organisations terroristes continuent de menacer et d’attaquer les populations et les forces nationales et internationales.
En tout état de cause, je peux vous dire que je suis satisfait de ma visite et de ses conclusions et surtout de l’accueil patriotique réservé à ma délégation et à moi-même. Je profite de l’occasion pour remercier très sincèrement tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réussite de cette visite.
Il faut ajouter à cela que l’Amenokal à Kidal, Mohamed Ag Intallah, a offert un repas à la délégation et a tenu à exprimer sa satisfaction quant à la nature de cette visite officielle. C’est la première fois que, depuis les événements de Kidal en 2014, qu’un Premier ministre, chef du gouvernement, passe non seulement la nuit à Kidal mais aussi échange directement avec toutes les parties : administration, nouvelle armée reconstituée, groupes armés signataires de l’Accord et populations.
Depuis près d’un mois, une partie de l’armée est à Kidal. Plusieurs sources nous disent qu’elle est cantonnée.
A quoi sert donc ce redéploiement ?
Comme vous le savez, un premier détachement du bataillon des Forces armées maliennes (Fama) reconstituées est arrivé à Kidal depuis trois semaines. Ces éléments sont dans leur camp que j’ai visité et, j’ai eu un échange fructueux avec ces militaires maliens qui, malgré les difficultés, sont fiers de remplir leur mission. Je leur ai passé le message du Chef suprême des armées, S.E. Ibrahim Boubacar Kéita, à savoir être discipliné, respectueux de la hiérarchie, de la mission, du règlement militaire et des droits de l’homme. Il a également fait savoir qu’il sait compter sur eux pour honorer tout le peuple malien dans l’accomplissement de leur mission. Je voudrais vous dire que leur présence dans cette ville est hautement symbolique. Elle constitue un indicateur de réussite du processus de paix. Des forces composées de militaires et d’ex-combattants intégrés dans l’armée et bien formés dans le cadre du processus de DDR, donc de l’APR !
Enfin, il faut savoir que c’est le début d’un processus de redéploiement des Fama reconstituées que l’ensemble des maliens doit accompagner. Il faut soutenir la hiérarchie militaire qui doit être seule responsable de l’emploi de ces militaires comme dans les autres régions du pays.
À quand le contrôle total de la région de Kidal par l’Etat malien ?
L’Etat malien a la souveraineté sur l’ensemble du territoire malien, y compris la région de Kidal depuis la fin du processus d’Alger et la signature de l’APR le 20 juin 2015. Il faut savoir que le processus de paix peut prendre du temps car des difficultés et des obstacles peuvent joncher le chemin. Mais l’essentiel est d’atteindre les objectifs. Je pense que nous sommes sur la bonne voie grâce aux efforts du chef de l’État, du gouvernement, de l’ensemble des organes de mise en œuvre de l’accord et des partenaires du Mali. Je dois ici saluer l’engagement des partenaires aux côtés du Mali. Il s’agit du SNU, en l’occurrence la MUNISMA, l’UA, la CEDEAO, le G5-Sahel, l’Algérie, la France, les USA, la Russie, la Chine, la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’UE et tous les pays voisins du Mali.
Le récent dialogue tenu à Bamako a recommandé un toilettage de l’accord d’Alger de 2015. Comment le gouvernement va s’y prendre ?
Il est vrai que l’une des recommandations fortes du Dialogue National Inclusif (DNI) est de procéder à la relecture de l’APR. Il faut aussi préciser que les leaders des mouvements signataires de l’APR ont participé à la réunion au niveau national du DNI. Il est donc naturel que le gouvernement et les mouvements s’engagent ensemble dans la mise en œuvre des recommandations notamment, celles qui concernent l’APR. L’Accord pour la paix et la réconciliation prévoit lui-même sa révision dans l’article 65 qui stipule que : Les dispositions du présent Accord et de ses annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement de toutes les parties signataires du présent Accord et après avis du Comité́ de suivi.
Aussi, la communauté Internationale a indiqué que s’il y a des difficultés dans la mise en œuvre de l’Accord, elle apportera des solutions qui s’imposeront aux différentes parties. Cela a été consacré dans le “Pacte pour la Paix au Mali” signé le 15 octobre 2018 entre le gouvernement du Mali et l’ONU. Mais, il faut souligner que la modification des dispositions de l’APR ne peut se faire sans le consentement des parties signataires et l’avis favorable de la médiation internationale.