Attaye Ag Mohamed, chargé des questions juridiques et du droit de l’Homme au sein de la CMA, a accordé un entretien à notre rédaction en marge des travaux du Dialogue national inclusif. Il parle de l’accord d’Alger, la révision constitutionnelle, l’intervention de Barkhane, le mot Azawad, etc.
Mali Tribune : Que dites-vous de la relecture de l’accord issu processus d’Alger au DNI ?
Attaye Ag Mohamed : Le dialogue ne peut pas réviser l’Accord. Le dialogue n’est pas une conférence souveraine qui délibère sur tout comme celle des années 1991. C’est une consultation nationale, un dialogue entre toutes les couches sociales pour produire des recommandations à l’intention du gouvernement de la République du Mali. Nous ne sommes pas dans une conférence nationale qui révise quoi que ce soit. Les Maliens doivent se parler, évacuer les colères et les préjugés, ensuite produire une série de recommandations sur toutes les questions sans tabou, y compris la constitution. Tout ce qu’on écrit en tant qu’être humain n’est pas forcément parfait. Il y a toujours des incohérences, des erreurs, des méconnaissances. Nous pensons qu’avec des recommandations établies sur des bases d’un constat réel, sincère et sans ambigüité, nous pourrons avoir des recommandations qui sont même mieux que la modification. Surtout lorsque ces recommandations émanent d’une interaction.
Mali Tribune : Et si le DNI fait des recommandations touchant l’accord ?
A. A. M. : S’il y a des recommandations qui émanent du Dialogue national inclusif, le gouvernement en tant qu’autorité souveraine en prend acte et les repartit en fonction des domaines. Pour ce qui concerne l’accord, il appartient au gouvernement de le soumettre au CSA et ensemble nous le verrons. Si ces choses sont pertinentes, nous les intégrerons. L’accord n’est pas un problème de conflit. L’accord est un mécanisme proposé pour répondre à une demande, à un conflit. Il peut ne pas être parfait. Nous l’avions dit, l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger n’est pas la Bible, encore moins la Thora ou le Coran. On peut bien le revoir ensemble. L’article 65 de l’Accord prévoit que s’il y a des choses qu’une des parties pense ne pas être applicable, la partie soumet cela au Comité de suivi de l’Accord (CSA) et on le verra ensemble. Ça parle de modification.
Nous aussi, si on va à la révision ou la relecture de l’Accord, dans ce cas, c’est un dialogue qui va suivre. En 2014, on a signé l’accord sans être content. On a des choses qu’on a gardées, des choses qu’on veut aussi faire sortir. Donc à l’occasion, on va les faire sortir. Est-ce que les Maliens veulent qu’on revienne encore à la négociation d’un accord politique nouveau ?
On veut faire la nation malienne, on veut faire un Etat nouveau, un Etat de nos besoins ? Trouvons un pacte social commun en 2019 en tant que nouvelle génération. Bâtissons notre République unique et souveraine ensemble. Produisons un système qui ne fait pas de différence entre les citoyens, qui équilibre le développement dans le pays et qui donne la chance à tout le monde. C’est ainsi qu’on préservera notre unité nationale et notre montée en puissance en Afrique et dans le monde.
Mali Tribune : L’Armée malienne tarde à rentrer définitivement à Kidal. Les gens sont impatients. Qu’est-ce qui peut expliquer ce retard ? Est-ce la CMA ?
A. A. M : C’est l’accord qui prévoit que l’armée reconstituée est à redéployer au nord. Aujourd’hui, est ce qu’elle est reconstituée ? La reconstitution ne veut pas dire seulement d’intégrer les ex-rebelles. C’est un travail de profondeur, des lois de l’armée pour les types de défense que nous voulons avoir. Et il y a cette confusion entre les acteurs. Il faut que les médias aillent à l’information. Venez vers nous. Le gouvernement peut prendre un avion, amener 45 journalistes à Kidal pendant une semaine pour couvrir tout et revenir. Il y a des gens qui vivent là-bas, font leur commerce, etc. Nous avons organisé des grands événements à Kidal. Des médias y ont été et ils n’ont eu aucun incident. C’est faux cette stigmatisation d’une région, d’une zone.
Mali Tribune : le combat contre le terrorisme devient de plus en plus difficile. Comment peut-on expliquer cela ?
A. A. M : Le terrorisme ne se combat pas par une armée ordinaire. Dans certains, pays c’est la police qui combat le terrorisme. Ce n’est pas l’armée. L’armée intervient quand les terroristes font une offensive. Le terrorisme est combattu par le renseignement, la confiance avec la population, le développement, la prise en compte des revendications des populations. Le discours radical est un discours très bien entretenu. Nous devons avoir un contre-discours bien préparé pour que nos jeunes ne s’embarquent pas dans la radicalisation et l’extrémisme violent. Partout au Mali, des enfants dorment sur les trottoirs, même derrière le ministère de la Promotion de l’Enfant. Vous pensez que ces enfants ne vont pas intégrer l’extrémisme ? Ils vont l’intégrer. Il y a beaucoup de talibés qui ont été dans les écoles arabophones, qui ont terminé, qui ont des diplômes mais qui n’ont jamais été pris en compte par le système. Tous ceux-là sont des menaces pour tout le monde.
Mali Tribune : Que préconisez-vous pour une sortie définitive de crise?
A. A. M : C’est seulement dans l’unité et dans la véritable critique qu’on peut arriver à des solutions pour éviter tout ceci. Si le Malien veut arriver à ce qu’il demande, il faut saisir l’opportunité de ce dialogue pour parler de tout, pas seulement de nous. Nous avons une part de problème, mais nous ne sommes pas le seul. Nous le partageons pour l’histoire, pour l’avenir des futures générations.
Mali Tribune : Vous dites un système d’Etat, doit-on entendre par cela, le fédéralisme ?
A. A. M : Non, non. La fédération c’est lorsque des Etats se mettent ensemble. Aujourd’hui on peut avoir un système de renforcement de la décentralisation poussée tout en restant une République, un Etat unitaire. Dans la régionalisation, aucune assemblée régionale ne vote une loi. Elle peut prendre des actes administratifs, des compétences sont transférées aux collectivités territoriales, pas aux régions. Dans les régions, il y a plusieurs collectivités.
Le président de la région devient l’exécutif de la région cela ne veut pas dire qu’il assure l’armée, la défense, la sécurité. Les missions régaliennes restent à l’Etat. Le président de la région s’occupe de l’administration des affaires de la région (développement, stratégie), au niveau local. Tout ce qu’on peut transférer aux collectivités décentralisées. Mais l’Etat reste le maitre du jeu.
Mali Tribune : Le contrôle a posteriori offert au gouvernement dans cette gestion des ressources, n’amputerait-il pas la souveraineté de l’Etat en quelque sorte ?
A. A. M : Non. Dans certains pays, le contrôle a posteriori, permet à la collectivité d’exécuter des choses, parce qu’on a élu quelqu’un, on lui fait confiance. Elle est sous tutelle du département ministériel. Il n’est pas sous tutelle de la présidence, ni de la Primature. C’est un système bien organisé, mais il faut que les gens s’en approprient pour le comprendre. Il faut comprendre la nuance entre un Etat centralisé, décentralisé, déconcentré, décentralisation poussée, autonomie, régionalisée et fédération. L’accord porte sur la régionalisation et qui pourrait être garantie dans la constitution.
Mali Tribune : L’un des sujets tabous demeure la révision constitutionnelle. Le DNI se prononcera-t-il là-dessus ?
A.A.M : La révision constitutionnelle n’est pas une fin en soi. C’est un moyen pour arriver à la paix. Parce qu’il faut mettre des choses dans la constitution pour qu’on puisse prendre des lois qui permettent certaines dispositions telles que la libre administration des collectivités, un code approprié et le transfert de service de compétence et de services déconcertés et de ressources. Et il faut savoir qu’il s’agit de toutes les collectivités du Mali avec un transfert de ressources répondant aux urgences des endroits au prorata.
Mali Tribune : La présence des forces étrangères est très décriée au Mali par la plupart des populations. Quel est votre point de vu?
A. A. M : Pour les Nations unies, c’est une mission de maintien de paix. Dans leur mission, il y a 3 principes : l’impartialité, consentement des parties, le non-usage de la force sauf en cas de légitime défense. L’opération Barkhane, c’est autre chose. C’est un accord, une sorte de traité qui implique plusieurs pays du Sahel sur la base du droit humanitaire international et non des relations internationales. Barkhane intervient contre le terrorisme et elle le fait comme elle le peut. Nul n’est parfait et chacun a son agenda. C’est normal que les gens défendent les agendas de leur pays. C’est à nous de comprendre que nous aussi nous avons nos intérêts et de les défendre et les utiliser eux-mêmes pour nos intérêts si on peut. Mais qu’est-ce qu’on va leur faire si on est toujours dans la séparation. Il faut qu’on s’entende sur un système de gouvernance et un Etat commun pour qu’on puisse faire avec ce qui est comme menace mais aussi profiter de toutes les occasions qui nous sont offertes au plan international.
Mali Tribune : Va-t-on continuer à garder le mot Azawad?
A. A. M. : Il ne faut pas avoir peur des mots. Les gens savent pourquoi, ils ont pris le nom « Azawad » pour leur territoire. Ils peuvent ne pas avoir raison. Les gens appellent leur territoire comme ils veulent. Dès que le nom n’a pas un carcan séparatiste, ça ne doit pas être un problème. Ce que moi j’appelle chez moi le Bélédougou, le Kénédougou, le Kounari ou autres.
Le nom Azawad dépendra de l’évolution du conflit. Il faut un système, un Etat qui prend en charge ce que nous voulons. Il faut mettre en place un Etat de nos besoins en tant que génération de ce pays.
Mali Tribune : Et le dialogue en cours, qu’en pensez-vous ?
A. A. M. : Le dialogue a fait du bien. Il a permis aux gens de se vider. On peut vraiment espérer. Nous, la CMA, nous sommes apaisés. Voir que nous commençons à être acceptés. Nous avions quelque chose à présenter et l’occasion de le faire. Nous le présentons. A la fin du dialogue, nous aurons des recommandations. Attendons la suite de ces recommandations et leur mise en œuvre.